Lecture en cours
Grand Blanc. Voyage visuel

Grand Blanc. Voyage visuel

Cela fait bientôt un an que Grand Blanc a sorti son premier album, Mémoires Vives, et plus de deux que l’on écoute leur musique métallique et envoutante.

Pendant ce temps, notre chemin a plusieurs fois croisé celui de noms ayant évolué autour et avec Grand Blanc, des sérigraphies d’À Deux Doigts et de Rebecka Tollens aux films de Jonathan Vinel et Caroline Poggi, en passant par des références communes, comme John Carpenter.

Grand Blanc, au-delà d’être « un groupe émergent », terme assez fatigant à la longue, est surtout une de ces nébuleuses autour desquelles gravitent des personnes de talent.

Explorant des chemins parfois assez surprenants et peu consensuels, le groupe a bâti un univers visuel évocateur et précis, d’une grande force narrative.

Retracer un an de clips, illustrations et live avec Grand Blanc a été un moyen de mettre des noms et des mots sur un voyage visuel tout à fait intrigant.

Le parcours démarre à l’inverse, de l’Asie à Paris en passant par Metz.

Benoît David : chant, guitare / Luc Wagner : clavier / Camille Delvecchio : clavier, chant / Vincent Corbel : basse

En novembre 2016, Grand Blanc réalise une tournée en Asie, chose assez inédite pour un groupe français. La tournée se fait entre Alliances et Instituts Français, festivals locaux et soutien du FAIR à la découverte d’un continent peu exploré par les musiques européennes.

« L’une des dates où nous avons le plus perçu la distance, c’était Hanoï. On jouait dans une salle de classique, le public était assis. À Taïwan et à Hong Kong, on a participé à des festivals électro et rock, mais les gens n’étaient pas dépaysés par notre musique. Au contraire, ils étaient curieux, du fait que nous venions de loin aussi », raconte Benoît.

Camille : « Nous avons été super bien accueillis partout, spécialement à Taipei, où la programmatrice nous a trimballés partout, elle nous a présenté ses amis et fait rencontrer d’autres musiciens. C’était ultra chaleureux ».

C’est aussi grâce à la tournée en Asie de Grand Blanc que l’on découvre un nom ayant, depuis, suscité la vive attention de la presse : Rebecka Tollens.

Son univers froidement poétique, féerique et brutal en même temps, mélange le minimalisme formel japonais et la simple beauté blanche des paysages scandinaves. L’affiche en elle-même semble illustrer une sorte de Nord fantasmé, un pays silencieux et légèrement hostile. Un grand pays blanc, en somme.

Rebecka Tollens pour Grand Blanc

Benoît : « Nous travaillons avec des personnes dont la vision des choses nous plaît. C’est très personnel. Il y a une cohérence visuelle mais elle n’est pas concertée, elle jaillit toute seule. Nous voyons des liens entre ces images, le public a l’air de les voir aussi, mais tout cela est très spontané ». 

Dans une rencontre lors de la sortie de Mémoires Vives, nous avions abordé avec Grand Blanc la question de leur rapport à l’image, surtout vestimentaire. Il en ressortait, dans la réponse, le même constat d’une certaine spontanéité dans la démarche.

Vincent, le bassiste, nous le confirme : « Nous ne nous sommes jamais dit : “Grand Blanc, ça doit être ça et ça”. Nous avons toujours fait des choses qui nous plaisaient et choisi des visuels qui nous parlaient ». 

Camille : « Pour  Rebecka, ce qui nous a plu également, c’était son rapport au Japon, ça créait un pont avec notre tournée en Asie. De manière générale, même si on s’appuie beaucoup sur le numérique, l’illustration et le trait de crayon font partie d’une esthétique qui nous plaît et que l’on souhaite conserver ».

En effet, ce n’est pas la première fois que le groupe s’appuie d’excellents dessinateurs pour accompagner sa musique.

Les dessins et sérigraphies troubles d’À Deux Doigts (Anne Chamberland et Grégoire Canut) nous avaient déjà intrigués, lors de leur collaboration pour un visuel de tote bag. Empreints de noirceur et d’audace, leur univers crée un contraste entre provocation et douceur (plus de visuels ici).

À Deux Doigts

On n’oubliera pas la belle illustration de la pochette du premier EP, un travail du tatoueur All Cats Are Grey, que nous avions auparavant repéré pour sa réinterprétation du tatouage vintage, au trait simple et sanglant (rencontre avec All Cats Are Grey ici).

Le choix de l’illustration en noir et blanc, ainsi que d’artistes aux univers mélancoliques et un brin violents, fait immédiatement penser à ce fameux froid, ce fameux Nord, cette musique mécanique et enragée.

All Cats Are Grey – Pochette de l’EP de Grand Blanc

Mais comme le relève Benoît, il n’y a pas que cela : « Certes, ça reste nocturne, mais sur notre album, nous avons choisi des visuels clairement plus chaleureux, avec des lumières colorées. Il y a quand même quelque chose d’accueillant, même si ça ne sent pas le soleil et la plage ». 

Max Vatblé – Pochette de l’album « Mémoires Vives »

Max Vatblé, qui réalise le clip de « Surprise Party » et signe la pochette de l’album Mémoires Vives, apporte une touche nouvelle, une atmosphère cinématographique qui n’est pas sans rappeler le cinéma de John Carpenter ou les escapades nocturnes et surréalistes de Jim Jarmusch.

« Des muscles, des bagnoles, de la testostérone, la nuit : on est partis dans ce délire et on l’a poussé jusqu’au clip de “Tendresse” », explique Camille

« Verticool » fait bien sûr partie de cette phase très hormonée de Grand Blanc, qui culmine dans un clip aussi trippant que drôle, une dédicace spéciale au manager et ami du groupe, Yannick.

Complètement décomplexé, le clip de « Verticool » est rempli d’autodérision, dévoilant une passion secrète pour le work out assez éloignée des élans de mélancolie précédents.

Camille : « Yannick avait vu sur Internet des vidéos d’un mec ultra baraqué qui faisait du sport dans une énorme boule. Il mélangeait le cirque et le sport. Il a regardé ça en écoutant “Verticool” et il a trouvé ça chanmé. On a demandé à ce type si on pouvait prendre ses images mais il a dit non, je pense qu’il l’a mal pris ».

Rafael Torres Calderón, qui a monté la vidéo, met ces pépites trouvées sur Internet ensemble et, en suivant le courant de l’image « dégueu et sexy », illustre cette chanson inattendue, insolite et absolument captivante qu’est « Verticool ».

La passion muscles et gymnastique continue, avec le choix d’un haltère géant comme symbole de la deuxième partie de la tournée de 2016.

Camille, voix et clavier, réalise le visuel pour le dernier concert de la tournée (Gaîté lyrique, 10 décembre 2016), et une fois de plus, rend hommage aux fascinants surhommes habitant les salles de sport. Le Christ version haltère signé Grand Blanc.

Voir Aussi

© Camille Delvecchio

Benoît : « Quand tu fais un clip, on te demande pourquoi. Il n’y a pas de pourquoi, ce sont des images qui vont avec ta musique et c’est tout. Le body-building allait avec la chanson. “Verticool” est la chanson de la loose. No pain, no gain. Ne fais rien, comme ça tu es sûr que rien ne va t’arriver ». 

Comment passe-t-on de « Verticool » à l’image propre et policée de « L’amour fou » ? Étonnante transition, expliquée par Vincent : « Pour “L’amour fou”, on voulait faire un clip à l’ancienne, où on voyait le groupe jouer. On cherchait un endroit étrange. On est tombés sur Bonsoir Paris. Ils avaient quelques chose de très précis et de léché. Ils font des pubs pour des matériaux, c’est gadget land. C’était un peu de la science-fiction, c’est de la mécanique scénarisée ». 

Camille : « Ce sont des gens qui bossent beaucoup sur les lumières, il n’y a pas d’effets spéciaux en post-production. Ils sont hyper puristes là-dessus, ils vont utiliser la lumière et les miroirs sans tricher, ils sont super forts et ils ont fait quelque chose de très fin et de suggéré. C’est l’histoire d’un accident ».

Chaque nouvelle réalisation semble proposer un nouveau chemin à parcourir pour le groupe, qui travaille rarement avec les mêmes personnes et semble se plaire à s’entourer d’artistes qui savent surprendre, sans pour autant trahir l’identité de Grand Blanc.

« Tendresse » demeure l’un des meilleurs clips, une collaboration avec le duo prometteur Jonathan Vinel et Caroline Poggi (que nous avions rencontrés pour discuter de leur film Notre héritage, interview ici), qui permet de bâtir un pont solide entre Grand Blanc et le cinéma français (plus d’informations sur « Tendresse » ici).

Camille : « Le clip de “Tendresse” est un résumé de plein de choses qui se sont passées et qui ont été dites avant ». 

Benoît : « C’est une facette du groupe qui est un peu éloignée du reste. Ce n’est pas la plus directe. Ce morceau est moins en continuité avec l’EP, par exemple. On voulait garder les morceaux les plus compliqués en dernier pour dire : “On fait ça aussi” ».

Sorti le 23 février, « Bosphore » s’ajoute aux réalisations vidéo de Grand Blanc. Un clip qui paraît mélanger le second degré de « Verticool » et l’ambiance frigorifiée de « Tendresse ». Un hommage à la ville de Metz, aux soirées kebab et à la lassitude déprimante de l’adolescence.

On y retrouve les codes visuels assimilés par les gamins des nineties. Une plongée dans la ringardise de notre enfance, avec quelques réminiscences d’un endroit pouvant évoquer un 18e arrondissement vu par des ados fuyant l’ennui. C’est encore Rafael Torres Calderón qui dirige ce clip, affirmant sa patte ironique et maîtrisant le numérique de manière décalée.

L’univers visuel d’un groupe crée une relation avec le public, qui se joue sur un ressenti autre que la perception de la musique.

Les illustrations, les clips, les photographies accompagnent la réception du son, car forcément, quand on écoute, on fantasme.

La création d’un univers et la pérennité d’un groupe se jouent probablement sur ce point : le fait de suggérer, de proposer et d’alimenter des fantasmes, des rêves et des histoires.

« Nous avançons et à chaque pas, on apporte une pierre à notre édifice. Cet édifice est varié mais reste cohérent car c’est nous qui choisissons ces images, et nous sommes toujours les mêmes », explique Camille.

Et à Benoît de conclure : « Des fois, on pense qu’un groupe de musique, parce qu’il accomplit une rupture, devient incohérent par rapport à ce qu’il a été. Mais il arrive que des années après, on trouve que finalement, cette rupture était tout à fait naturelle. En fait, cela n’en était simplement pas une : le groupe avait juste poussé un concept plus loin, approfondi une voie et donc, créé une évolution. Nous, on essaie de faire ça de manière spontanée, de poursuivre des chemins que l’on a envie de pousser plus loin ».  

© 2022 Manifesto XXI. Tous droits réservés.