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Exclu et entretien : In Love With A Ghost sort l’envoûtant « Healing » EP

Exclu et entretien : In Love With A Ghost sort l’envoûtant « Healing » EP

Healing EP In Love With A Ghost Manifesto XXI

Un piano, des samples de nature en guise de percussions et des envolées de voix vaporeuses : c’est la recette appliquée depuis trois ans par Maël Madec sous le nom d’In Love With A Ghost. Depuis, on se plaît à le suivre au fil des compilations (Svnset Waves, #weirdkids ou encore Stratford Ct.), des collaborations (avec Echo, Olli ou Tomppabeats), et surtout de ses propres EP (Feels, Love Ghost, Ordinary Magic puis Let’s Go).

Nous l’avions en interview il y a maintenant deux ans, et alors qu’il truste le haut de pages des artistes les plus écoutés sur Bandcamp, et atteint plusieurs fois le million d’écoutes sur YouTube, le jeune producteur désormais de retour en région parisienne nous donne de ses nouvelles. L’occasion de parler de son nouvel EP auto-produit, Healing, disponible à l’écoute en bas de cet article.

Manifesto XXI – Durant l’année passée, tu t’es beaucoup plus produit sur scène : on t’a vu entre autres au festival Maintenant, à I’m From Rennes, au musée Guimet, tu as fait la première partie de Thylacine à Rennes fin 2016. Qu’est-ce que cette confrontation au live, un petit peu nouvelle, t’a apporté ?

Maël Madec : J’ai voulu tenter de nouvelles choses et voir comment les gens réagiraient, directement confrontés à la musique. Bien entendu, je suis sous l’emprise d’un sortilège : donc tout mon matériel a cessé de fonctionner et j’ai perdu une bonne partie de ce que j’avais besoin, j’ai donc dû revoir les choses et tout adapter en conséquence. Ça m’a quand même permis de voir les points que j’ai à améliorer musicalement, mais ça a aussi mis en lumière tout ce que je n’aime pas autour de l’univers live de la musique. Il faut s’orienter dans une certaine direction pour plaire au public, et rester conventionnel.

Jusque-là, ta musique était très ancrée « Internet wave », entre des influences à la Cashmere Cat et des samples de personnages d’animes. Pourtant, ton nouvel EP, Healing, est très différent : il explore de nombreuses pistes (piano, 8-bit, field recording, influences jazz manifestes), qui donnent finalement un impressionnant sentiment d’unité, un tout plus organique… D’où vient cette évolution ? Est-ce qu’elle traduit une évolution de tes sources d’inspiration ? Est-ce que c’était quelque chose de conscient ?

Au début, j’avais quelque chose de beaucoup plus sombre en tête, toujours dans cette ancienne lignée un peu minimaliste et Internet wave. Mais j’ai fait face à deux choses, principalement : j’ai dû trouver un moyen de gérer mes problèmes de santé mentale, et les personnages que j’ai créés ont complètement pris le contrôle. Plus l’envie de faire quelque chose de nouveau. J’ai bien entendu toujours eu de nombreuses inspirations dans des thématiques différentes, mais faire un ensemble cohérent nécessite parfois de n’en exposer que quelques-unes.

Tant dans la musique que dans les titres des morceaux, Healing apparaît comme un EP très réfléchi. Il semble développer une histoire, avec une introduction, des personnages, plusieurs rebondissements, et une fin aussi. Cela semble finalement assez similaire à un conte ou à un jeu vidéo, tu avais d’ailleurs déjà développé la thématique du conte dans l’introduction de Love Ghost EP. Est-ce que tu pourrais développer l’histoire d’Healing ? Nous en présenter les différents protagonistes ? 

Healing est une histoire sans vraiment en être une. On pourrait le comparer à un slice of life, mais pourtant il y a une évolution des personnages entre le début et la fin, de par leurs interactions et les choses qu’ils ont à vivre.

Le personnage principal décide de fuir la réalité et arrive dans un endroit hors du temps où il fait la connaissance de Nemu, une sorcière aux apparences malicieuses qui va finalement devenir son amie.

Dans ce même endroit habitent Qwerty et Azerty, deux sœurs aux pouvoirs magiques puissants qui ont elles aussi décidé de fuir la réalité il y a très longtemps, et qui passent maintenant la plupart de leur temps à se quereller pour savoir qui de Keith Jarrett ou de Miles Davis a le meilleur jeu de piano, ou encore à donner vie à toutes sortes d’objets. Une malheureuse tasse de thé en a fait les frais et est condamnée à vivre pour l’éternité avec un problème : elle déteste le thé.

Au loin, on peut apercevoir une grande tête de chat. Une rumeur dit qu’elle seule a le pouvoir de traverser les dimensions.

Healing In Love With A Ghost Azerty
© In Love With A Ghost et Sarlisart

Les personnages, principalement Nemu (dessinée sur la pochette de l’EP par Sarlisart), ont été beaucoup repris, tu as reçu beaucoup de fan arts. Est-ce que tu t’y attendais ? 

Pas du tout. J’avais prévu depuis longtemps de développer la partie artistique et de donner beaucoup plus d’éléments visuels, pour aiguiller les gens sur le vrai sens de l’histoire, mais je ne m’attendais pas à un tel engouement de la part des gens.

Concernant le jeu vidéo, on a cru déceler des inspirations venues entre autres de Mother 3 et d’Undertale : est-ce qu’ils ont été importants pour Healing ? Voudrais-tu développer un jeu sur la base de l’univers de l’EP ?

J’ai toujours été sur la même longueur d’onde que ce genre de jeux. Mother 3 a été un monument pour moi. J’ai bien sûr adoré Undertale, mais j’ai plus été inspiré par son univers, l’humour utilisé, l’avant-gardisme et les thèmes abordés. J’ai eu très peur que ça s’en rapproche trop d’ailleurs, c’est pour cela que beaucoup d’ébauches de musiques sont parties à la poubelle. L’univers de Healing étant gigantesque, il est très probable qu’un jour ou l’autre un jeu vidéo sorte. Ça dépendra du temps et des moyens que j’aurai, mais c’est vraiment quelque chose qui me tient à cœur et que j’ai vraiment envie de faire (j’ai très facilement un quart de jeu déjà préparé dans ma tête). Il ne suivrait par contre pas la trame de l’album, mais développerait une autre histoire.

J’ai vu sur Twitter que tu travaillais sur un story-board, un projet de court-métrage est en route ?

Ça fait également partie des projets ambitieux que j’ai en tête. Je passe mes journées à essayer de trouver les artistes qui colleraient parfaitement aux idées que j’ai en tête, même si pour l’instant je préfère me concentrer sur la direction artistique de Healing.

Mais à terme, j’ai bien l’ambition de développer cet univers sur tous les médias qui me tiennent à cœur. Musique, dessin, vidéo, autre ?

Healing Story board
© In Love With A Ghost et Sarlisart

Tes prochains lives seront-ils basés sur ce nouvel EP ? Il pourrait nourrir une expérience transmédia extrêmement ambitieuse, des installations, des visuels particuliers… Y as-tu pensé ?

Complètement. Il y aura beaucoup plus d’instruments organiques et un côté visuel beaucoup plus mis en avant. J’évite d’en dire plus pour l’instant, mais si j’arrive à retranscrire ce que j’ai en tête, l’expérience promet d’être intéressante.

Musicalement, penses-tu continuer à travailler sur l’univers de Healing par la suite ?

J’ai déjà pris de l’avance et commencé à travailler sur la suite. Ou les suites. Ou les préquels ? Mais oui, dans cet univers, tout est lié.

Les EP Let’s Go et Ordinary Magic faisaient justement ressortir la magie de l’ordinaire. Boire un café, ramasser des fleurs dans le jardin : chaque morceau était une petite histoire, souvent explicitée dans le titre, à l’image de « we’ve never met but, can we have a coffee or something? ». Dans Healing, les titres abordent la question de l’amour, mais aussi les thématiques de la « normalité », du genre ou de l’hypersensibilité. Ce sont des choses qui semblent encore difficiles à exprimer, même dans le domaine artistique, non ?

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Peut-être que ça le laisse penser, mais Healing ne parle pas d’amour. C’est une gentille histoire d’amitié et de magie, qui sert à cacher des thèmes beaucoup plus sombres comme la dépression, la dépersonnalisation et le trauma. Parler de genre ou d’hypersensibilité me semble logique, ce sont des thèmes encore trop peu mis en avant et je pense que c’est important pour les gens d’avoir des exemples de représentations, sur l’acceptation de ses propres sentiments, faiblesses, défauts, et aussi de savoir déconstruire tout ce que l’on a appris sur les genres binaires et la sexualité. J’ai par contre préféré ne pas aborder la sexualité pour l’instant et la garder pour une histoire ancrée dans un monde plus réel.

Tu as désormais acquis une belle popularité sur Internet, ta chaîne YouTube dépassant en quelques mois les 120 000 abonnés, et certains de tes morceaux totalisant jusqu’à deux millions d’écoutes. Pourtant, jusqu’à présent, tu ne sembles pas avoir été beaucoup suivi en France, du moins dans la presse musicale. Comment analyses-tu ça ?

Je ne passe pas par les circuits traditionnels pour promouvoir ma musique. Je suis juste un Internet kid qui a bien su profiter des algorithmes de recommandation, qui a eu beaucoup de chance et qui se plaint beaucoup sur Twitter. Du coup, d’un point de vue mondial, la découverte un peu random passe surtout par les États-Unis ou la communauté anglophone.

J’ai vu que tu avais dû renommer certains de tes morceaux dont les titres (qui développent l’histoire) sont considérés trop longs, pour iTunes ou Spotify par exemple. Un phénomène analogue a déjà été décrit par David Grubbs dans Les Disques gâchent le paysage : il souligne le rapport difficile de certains compositeurs américains comme John Cage à l’écoute sur disque, au fait de pouvoir naviguer entre et dans les morceaux d’un album. Que penses-tu des limites ou possibilités imposées par certains dispositifs à l’expression artistique ?

Bandcamp ne limitant pas de ce côté-là, téléchargez l’album depuis là-bas et il n’y aura pas de problème.

Le problème, c’est qu’on est dans un modèle de consommation qui traite la musique comme un produit qui doit être normé, et non comme un objet artistique. Aujourd’hui, tout tourne autour de quel gros magazine va parler de tel album et du nombre de likes, followers, écoutes. Il y a aussi la quantité astronomique de musique produite de nos jours. Est-ce que c’est bien ? Sûrement, parce que ça fait plus de possibilités de trouver des morceaux qui nous touchent. Est-ce que c’est mal ? Sûrement, parce que si cet album n’est pas mis en avant par un système qui voit la musique comme un business, presque personne n’en entendra jamais parler. Ou alors il y a ce facteur chance, que j’ai eu, qui permet de s’en sortir et d’avoir une audience sans avoir à se préoccuper d’autre chose que la musique.

C’est marrant que tu parles de John Cage, ça me fait penser à D.J. Detweiler qui avait un remix de « 4’33 » » et qui s’était pris un strike sur les copyrights. Sur du silence.

Bien sûr, je pourrais critiquer le capitalisme pendant des heures, mais il y a aussi les limitations qu’on se fixe nous-mêmes dans la composition et la manière de diffuser. Avec Internet, c’est très compliqué de faire des diffusions uniques, étant donné que tout s’enregistre. Faire un album de cinq heures risque d’être difficilement écoutable pour l’auditeur, tout comme des suites binaires compressées dans une demi-seconde. Mais on a toujours la liberté de le faire. Et il y aura toujours au moins une personne sur cette planète que ça intéressera. Et ça, c’est beau.

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