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Voyage, ce psychotrope

Voyage, ce psychotrope

« Qu’est-ce que le voyage ? ». J’inspire, j’expire. Les molécules de dioxygène se faufilent dans mes poumons. Mon sourcil gauche s’anime – air interrogateur. Des particules sanguines viennent irriguer mon cerveau. Je soupire. Des paillettes de Ceylan barbotent au fond de ma tasse, le sachet s’est déchiré. Tant pis, je croque dans un nouveau carré de chocolat – en provenance évidemment indirecte du Costa Rica. Le soleil se couche sur Séoul, je songe qu’à Paris, il tend vers son zénith.

Voyager… Une histoire tout à la fois de kilomètres, d’imaginaire, de rencontres, de récits d’aventures, de télescopages civilisationnels, d’émotions. Une démarche sociétale multiséculaire mais aussi un cheminement intérieur, personnel. Toujours, des hommes et des femmes ont répondu à « l’appel du large », « pris la clef des champs » ou encore défié les lois de la gravité pour atteindre un ailleurs. Tantôt de façon librement choisie, tantôt sous influence ou encore sous contrainte, par le voyage, ils ont basculé de leur « ici » à cet idyllique autant qu’effrayant « ailleurs ». Ils se sont, pour ainsi dire, donné une direction.
Non pas que l’idée de vous livrer un article sur les paradis artificiels ne m’ait traversé l’esprit, c’est dans cette faculté directionnelle, bien plutôt, qu’il faut comprendre l’analogie « Voyage, ce psychotrope ». Par « psychotrope » nous entendons tout élément extérieur qui « donne une direction » (tropisme) à l’esprit (psycho).

Ainsi, l’esprit – dans son enveloppe corporelle, il va sans dire – peut se diriger « en, par et pour le monde ». Le voyage en son acception primaire – déplacement dans l’espace – nous permet de le figurer. L’esprit peut encore se diriger hors du monde. Le voyage, dit justement « spirituel » – à la rigueur, l’état hallucinatoire -, peut nous y conduire. Faisant œuvre de synthèse, nous interrogerons comment « l’expérience de la route », le voyage au sens propre, nourrit le spirituel de telle manière à transformer l’humain, à forger ses directions – et ce, à un point de non-retour. Nous nous abstiendrons ainsi d’un catalogage touristique ou historique : des destinations en vue d’une part, et des voyageurs légendaires d’autre part – la bise à La Pérouse et Nicolas Vannier quand même. De même, avec peut-être plus de regrets, il n’y aura pas de place dans cet article pour un tour d’horizon des expériences de transcendance spirituelle pure.

Le cheminement qui nous intéresse spécifiquement est celui propre au « voyage de découverte », celui des Christophe Colomb, des Nietzsche, des Stendhal, des Cendrars, des Henry David Thoreau ou encore des Jack Kerouac du temps présent. Sans jugement de valeur sur le panel de « voyages d’agrément » – vendus par les « agences de voyage » sous la bannière éventuelle de « clubs » bien connus du grand public – nous ferons l’impasse sur les « croisières » et autres « séjours de vacances », qui n’impliquent pas l’abandon de nos « médiocres petites manières de Blancs » – selon la formule de Michel Leiris (1). Soit dit en passant, des analyses antropo-sociologiques intéressantes existent sur le « tourisme de masse », je vous recommande ainsi les travaux de Jean-Didier Urbain.

Les personnages de notre herméneutique seront donc des vagabonds, des conquistadors de l’inutile puisque tel que le rappelle Héloïse Lhérété (2) : « il n’y a plus rien à conquérir ni nulle part où pouvoir se perdre, puisque tous les continents, tous les sommets, tous les déserts sont aujourd’hui connus ». Au-delà des qualités, objectives ou subjectives, du territoire d’atterrissage, quels sont donc les charmes intrinsèques du voyage de découverte ?

Le voyage est bénéfique tant que le voyageur se donne sa propre direction. La libre direction réside en la contingence de la destination. En somme, la destination n’a aucune importance, elle peut bien même changer en cours de route. Ce qui prime c’est le parcours, l’appréciation des kilomètres ou bien même des micromètres avalés. Le « psychotropisme de la partance » telle que je l’envisage correspond, quelque part, à la notion d’errance. Nietzche fera l’éloge de l’errance en prenant le contre-exemple de l’alpiniste qui faillit à apprécier la beauté de la montagne, n’ayant en tête que d’atteindre son sommet. De même, Proust (3) définira: « Le véritable voyage de découverte ne consiste pas à chercher de nouveaux paysages mais à avoir de nouveaux yeux. » En ce sens, il n’est pas même besoin d’aller bien loin pour « faire » un voyage de découverte. C’est ainsi qu’Henry David Thoreau, perçu comme un aventurier engagé, n’a dans les faits jamais quitté son Massachusetts natal – de Concord à Cap Cod en passant par Walden Wood.

En conséquence, le voyage de découverte peut ne pas consister, uniquement, en l’appropriation de choses lointaines mais également de choses proches. Et même si le voyage s’est opéré dans des contrées exotiques, la dimension de retour, conduit fatalement à cette réappropriation du monde proche, connu de longue date.

En effet, partir en voyage c’est aussi revenir chez soi à la fin dudit voyage… Le retour cependant peut-être perçu – par ceux qui sont restés comme par l’intéressé(e) – comme l’arrivée d’un homme ou d’une femme nouveau/nouvelle, renouvelé(e) par l’expérience de l’errance. L’être qui erre est un être en devenir sinon en révélation de lui-même. L’étymologie du mot voyage (4) ne peut être plus explicite : selon l’intellectuel Ibn Arabî, le terme « voyage », vient de l’arabe safar « dévoilement » au sens où le voyage « dévoile le caractère des hommes ». Nicolas Bouvier dans son témoignage Usage du monde (1967) confirme en substance cette propriété du voyage de découverte (5). Pour sa part, Henri Michaux estime qu’il « [revient] sans pardessus » d’Amérique du Sud. Par le medium du voyage, chacun pourrait donc atteindre les tréfonds de soi.

« Sans pardessus », dénudé, nul doute qu’on apprécie bien plus la bruine matinale en Bretagne, la bise du coucher en sa fratrie ou la saveur du café-cafetière… Le retour rime avec retrouvailles et redécouverte des petites choses de la vie, ces « plaisirs minuscules » (6) que Philippe Delerm décrit si bien. Les voyageurs les plus fameux rendent que l’état de régression est tout aussi intense que celui de partance. Dans son sonnet au premier vers célèbre : « Heureux qui comme Ulysse, a fait un beau voyage » (7), bien plus que le palmarès de territoires et d’étrangetés vaincus par le héro, c’est son retour à Ithaque que du Bellay loue. Jean- François Dortier (8) résume ainsi : « L’être humain semble ainsi fait. Lorsqu’il est enfermé ou assigné à résidence, il rêve de prendre le large. Mais condamné à l’exil ou à l’errance, il aspire à retrouver son port d’attache. »

Création graphique : Lauriane Heim
Création graphique : Lauriane Heim

Serait-il que prenant conscience de son identité, de sa substance constitutive, le vagabond aurait besoin de revenir, comme en pèlerinage, à ses racines ? Toujours est-il que le vagabond ne tient pas bien longtemps en place, très vite lui prend l’envie de repartir.

Il est un mal charmant de nos sociétés que l’on nomme « virus du voyage ». De la même façon qu’on peut le craindre d’un psychotrope chimique, le voyage instille une dépendance délicieuse à ceux qui s’y risquent à corps perdu. Nicolas Bouvier (9) a identifié quatre grandes catégories de causes au récidivisme du voyageur :

1. L’initiation – soif inépuisable de connaissances, d’expériences.
2. La collection ou frénésie quantitative – usages maniaco-ostentatoires de ce qui à l’origine pouvait être l’œuvre de collections utilitaires serviables : scientifique, religieuse missionnaire, altruiste, …
3. L’addiction – recherche de la reproduction d’une première expérience – heureuse – de voyage.
4. La consolation – au contraire, il s’agit de prendre sa revanche sur une expérience malheureuse… le voyage est alors un antidote comme pourrait l’être la folie, la mythomanie.

Plaisir égoïste si l’on en croit les motifs de récidive du voyageur effréné, j’aimerais souligner que nombre de voyageurs ont bien plutôt fait œuvre de bien commun en transcrivant par écrit ou en prêchant oralement ce qu’ils ont personnellement retiré de leurs voyages. La dimension objectivement informative du voyage de découverte n’est en ce sens pas à négliger. Si le voyage est l’occasion d’une introspection comme nous l’avons suggéré, il est bien plus immédiatement le moyen de s’ouvrir aux autres et au monde, de s’ouvrir aux autres mondes.

Se déplacer, c’est voir défiler les paysages sous ses yeux impuissants (et les photographier donc en guise de consolation…) mais c’est bien plus aller à la rencontre de personnes d’horizons différents. Se confronter à d’autres coutumes que celles que nous avons appris à intérioriser, apprécier la musique d’autres langages, admirer l’intelligence d’autres modes de vie. D’ambassadeur de son pays et de ses «médiocres petites manières de Blancs », on aspire à incarner l’universel, à être baptisé « cosmo-polisson » dans les suites de l’autoproclamé Paul Morand.

En guise de conclusion, j’aimerais laisser mes lecteurs en compagnie de l’auteur du Voyageur et son Ombre (11), caractérisant le voyage que nous avons appelé de nos vœux d’« apprentissage à quitter la terre ferme, à abandonner, à s’abandonner soi-même et au mouvement de l’existence, plonger dans l’infini, tout ce qui nous fait dépasser frontières et limites »

Clémence Pétillon

Création graphique : Lauriane Heim

Références :

(1) Michel Leiris est cité dans l’article « L’invitation au voyage », Le Magazine Littéraire n°521, 2012.

(2) Héloïse Lhérété, « L’imaginaire du voyage », Sciences Humaines n°240, 2012. Les conquérants de l’inutile est le titre de l’autobiographie de l’alpiniste Lionel Terray, 1961.

(3) Marcel Proust, A la recherche du temps perdu, 1918.

(4) « L’invitation au voyage », Le Magazine Littéraire, n°521, 2012.

(5) « Usage du monde, usure de soi », Le Magazine Littéraire, n°521, 2012.

(6) Philippe Delerm, La Première Gorgée de bière et autres plaisirs minuscules, 1997.

(7) Joachim du Bellay, Les Regrets, 1558.

(8) Jean-François Dortier, « Homo viator », Sciences Humaines n°240, 2012.

(9) Typologie issue d’Il faudra repartir. Voyages inédits, Nicolas Bouvier, 2012 – reprise par Jean-Didier Urbain, encart « Voyage : l’éternel recommencement », « Pourquoi voyageons-nous ? », Sciences Humaines n°240, 2012.

(10) Nietzsche, Le voyageur et son ombre, 1880.

Voir les commentaires (1)
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