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Rencontre avec Ignacia Zordan

Rencontre avec Ignacia Zordan

ignacia zordan

Installée à Paris, Ignacia Zordan fait partie de cette nouvelle génération de designers qui n’a pas peur de s’affranchir et de transgresser les codes. Depuis deux ans elle nous fait vivre, à travers sa marque éponyme, un dialogue entre le vêtement et la peau.

Rencontre.

Manifesto XXI Peux-tu nous présenter ton parcours ?

Ignacia : J’ai fait une licence aux Beaux-Arts au Chili et ensuite une formation de styliste au Studio Berçot, à Paris. Puis j’ai été habilleuse dans les défilés, fait des stages et travaillé en tant qu’assistante styliste dans des maisons parisiennes et en Inde. C’est à New Delhi que j’ai commencé mon projet.

Manifesto XXI – Du point de vue de tes idées et du point de vue commercial, pour qui crées-tu ?

Ignacia : Mes vêtements sont adaptables aux différents corps, j’utilise beaucoup de tissus élastiques, ça permet que des gens différents puissent porter le même vêtement. C’est une marque pour femme mais il y a des éléments unisexe dans mes collections. Après du point de vue design, je pense que c’est un peu pour moi que je fais les vêtements !

Manifesto XXI – La mode aujourd’hui rejette l’appartenance à un genre défini, que penses-tu de cette tendance ?

Ignacia : Dans mon travail, il y a une revendication de l’égalité des genres. Je ne trouve pas de sens dans la séparation entre des vêtements homme/femme, pour moi ce sont des volumes, du tissu, des formes, je ne fais pas vraiment la distinction entre les deux. Je suis souvent habillée avec des vêtements d’homme, peu importe si la boutonnière est d’un côté ou de l’autre… En ce moment il y a un mouvement vers l’unisexe et je trouve que c’est assez logique. C’est en lien avec la place de la femme dans la société aujourd’hui. Mais ce n’est pas quelque chose contre les hommes, il s’agit plutôt d’avancer ensemble.

La collection SS2016 – H’AIN

Manifesto XXI – Quelle image ont les gens du métier de styliste ?

Ignacia : Les gens pensent que c’est fun, mais en vrai tu travailles 24h par jour, moi en tout cas, parce que je créais mon propre projet. Je ne m’occupe pas que de la création, il y a aussi la production, le marketing, la com… Ça prend toute ta vie, il y a beaucoup de boulot, de stress aussi. Je pense que ça c’est vraiment quelque chose que les gens négligent quand ils pensent aux stylistes.

Manifesto XXI – Quelle est ta vision du vêtement et quelle place a-t-il dans la société ?

Ignacia : Le vêtement est une arme sociale au quotidien, et je veux donner le pouvoir à la personne qui le porte de profiter d’une certaine image. Parce que l’image que tu projettes, que tu produis sur l’autre, reflète ton rapport à toi-même. Tu dégages une certaine énergie qui te rend attirant du point de vue physique, mais aussi intellectuel. Je ne cherche pas à faire quelque chose de féminin dans les formes, je travaille plus des coupes basiques, moi je suis plutôt dans une recherche d’être sexy ou attirante parce que tu te sens bien dans ta peau.

Manifesto XXI – Comment crées-tu ?

Ignacia : C’est moi qui dessine tout, je fais les imprimés aussi, et puis je travaille avec des modélistes qui font la couture. Comme je déménage et que je bouge beaucoup, mes collections sont faites là où je suis. Jusqu’à maintenant je travaillais avec l’Inde et le Chili.

Manifesto XXI – As-tu un univers que tu aimerais développer ?

Ignacia : Je suis inspirée par des films comme Alien de Ridley Scott, des films d’extraterrestres ou du futur. Dans mes créations, il y a souvent un lien avec tout ce qui est militaire. Je veux qu’il y ait un univers un peu post-apocalyptique, Mad Max… Ce qui m’inspire le plus c’est le sujet de la fin du monde, de l’apocalypse. Je m’inspire beaucoup du lien qu’on pourrait avoir avec la nature, notamment pour le rapport entre le vêtement et la peau et comment se sentir bien avec soi-même. J’espère que dans le futur on sera plus près de ce qui est essentiel. C’est un peu spirituel, pas dans le sens hippie, mais dans le sens de l’être humain, c’est un peu plus existentialiste.

La collection AW 2015

Manifesto XXI – Quelles sont tes influences en ce moment ? 

Ignacia : En ce moment j’aime beaucoup le land art, le fait d’associer des éléments naturels et de le faire à l’échelle de la terre. J’ai beaucoup été inspirée par les crop circles, c’est un peu un mystère, mais je vois ça comme une forme d’art. Sinon j’aime beaucoup la musique expérimentale.

Manifesto XXI – Y a-t-il un lien entre chacune de tes collections ?

Ignacia : Dans mon travail, j’aime l’idée d’une collection qui grandit toutes les saisons. C’est toujours le sujet de cette femme un peu rebelle, différente. Je change un peu d’inspiration pour les saisons hiver ou été, parce que l’été d’une certaine façon c’est plus facile de le relier à la nature, alors que l’hiver me fait plus penser à la science-fiction.

Manifesto XXI – Tu as grandi au Chili, retrouves-tu dans tes vêtements des codes de ce pays ?

Ignacia : Bien sûr qu’il y a des inspirations qui viennent de mon pays parce que c’est la plupart de ma vie, mais pas forcément dans les volumes ni les tissus, c’est quelque chose qui est en moi. Dans ma première collection je me suis inspirée d’une tribu indienne du sud du Chili qui a disparu, mais c’est le seul lien que j’ai fait en rapport à mon identité chilienne. J’ai beaucoup voyagé et vécu dans différents endroits, je ne me sens pas appartenir à un pays en particulier, mais plus comme quelqu’un qui vit dans la société en général.

Manifesto XXI – Que veux-tu apporter dans la mode ?

Ignacia : Je viens du monde de l’art, j’ai travaillé dedans pendant 4-5 ans. Je faisais beaucoup de sérigraphie, de peinture et j’étais dans le graphisme. J’ai toujours eu cette idée d’intégrer de l’art à travers les vêtements, je voulais quelque chose de plus proche de la vie quotidienne, de plus accessible pour tout le monde. À l’université j’avais déjà cette idée. Dans mes collections il y a des recherches qui vont plus loin que la confection d’un vêtement. Je crée vraiment des univers, et j’essaie de profiter de tous les outils que j’ai appris dans le monde de l’art, par rapport à la couleur, à la composition, aux volumes, aux techniques, au graphisme… Je cherche dans le travail et la création à faire quelque chose que tu peux porter, que tu peux comprendre, que tu peux expérimenter toi-même.

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Manifesto XXI – Tu travailles beaucoup en collaboration ? 

Ignacia : Oui, mais pas dans le design du vêtement, plus dans le travail de communication, pour la campagne, le lookbook ou les vidéos. Je collabore avec des photographes ou des musiciens comme Laura Clock, qui a fait la musique de la première vidéo. J’ai travaillé avec une autre équipe pour faire la nouvelle vidéo, on a fait appel à de nouveaux artistes avec différents univers, que ce soit pour la musique ou pour le make up. Je cherche toujours à collaborer avec d’autres créatifs, et je souhaite qu’ils puissent intégrer leur propre univers dans nos collaborations.

Manifesto XXI – Tu comptes faire des défilés ?

Ignacia : Ce n’est pas une de mes priorités. Je suis intéressée par des choix plutôt web, des vidéos, des présentations. Je cherche toujours des façons un peu plus alternatives, le défilé c’est intéressant mais finalement les gens qui peuvent y accéder sont peu nombreux, alors que sur Internet, c’est démocratique, tout le monde peut y avoir accès. Je préfère faire de la performance artistique que des défilés.

Manifesto XXI – As-tu des créateurs qui t’ont plus inspirée que d’autres ?

 Ignacia : Il y a plusieurs designers aux styles très différents qui m’inspirent. Je suis toujours plus intéressée par ceux qui ont un univers assez marqué et personnel, et par ceux qui sont plus proches de l’art. Par exemple Issey Miyake fait des recherches qui vont beaucoup plus loin que la mode, c’est plus conceptuel. Vivienne Westwood aussi, j’apprécie beaucoup, du point de vue historique, et de la personne qu’elle est. Ce sont vraiment des artistes. J’aime beaucoup Jean-Paul Gaultier dans les années 90 ou Rick Owens. En même temps j’essaie de ne pas trop regarder leur travail parce que je n’ai pas trop envie d’être influencée ; même si je suis au courant de ce qu’ils font, j’essaie d’aller ailleurs pour mes recherches d’inspiration.

La collection SS2015
La collection SS2015

Manifesto XXI  Tu essaies de suivre les tendances ?

Ignacia : J’essaie d’éviter. Peut-être que j’ai de la chance que les envies que j’ai correspondent vraiment à l’ère du temps. Après, bien sûr, je suis influencée, même si on ne le cherche pas, on est bombardé d’informations. Mais c’est peut-être parce que je viens du milieu de l’art que je ne suis vraiment pas dans le commercial. Je suis un peu mes envies, que j’ai aussi au niveau du point de vue du consommateur.

Manifesto XXI – Comment vois-tu ton avenir ?

Ignacia : Le plus gros défi en ce moment, c’est le commercial, c’est compliqué parce que je suis vraiment dans la création, je ne connais pas le domaine du business. L’idéal serait d’avoir plusieurs boutiques dans lesquelles l’esprit de la marque correspond et dans différents endroits du monde qui vendent la marque, plutôt que d’avoir une boutique à moi. Ça, ça serait le succès.

Propos recueillis par Alice Heluin-Afchain

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