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« L’Ascension », « Everest » : rencontre en terre népalaise

« L’Ascension », « Everest » : rencontre en terre népalaise

Il en allait peut-être d’un mouvement de solidarité collective et inconsciente, peut-être d’une illusion personnelle, mais le Népal semblait, après le séisme d’avril 2015, être devenu encore plus à la mode qu’il ne l’était auparavant. Le pays que l’on situe « à l’Est, sans doute pas loin de l’Inde » est la projection parfaite des fantasmes occidentaux sur une Asie spirituelle reculée dans ses montagnes, tenue de la sagesse de ces braves moines bouddhistes et de la majesté de ces montagnes. Le manque d’oxygène rend probablement lucide, là-bas. Le Népal est plus que jamais sur tous les guides touristiques, tous les must-see édition 2017.

De même dans nos salles de cinéma depuis deux ans, quelques films ont reproduit la glorieuse ascension d’une fierté nationale, partagée avec la Chine : l’Everest. Partout au figuré dans les rubriques « Développement personnel » de divers magazines abêtissants, l’Everest n’est pas qu’une métaphore figurant l’escalade vers ses rêves insensés, mais aussi le toit du monde, un sentiment de puissance de 8 848 mètres à ressentir le sommet atteint. Le potentiel tension dramatique à l’écran est évident, et le résultat donne presque des manifestes sur la manière de faire un film selon le pays de production.

Rencontre au sommet (!) de deux exercices de style un brin clichés.

Sur les seules affiches, le registre n’est déjà pas tout à fait le même

Doctor Strange aurait pu entrer en ligne de compte, là où le Népal sauce Marvel devient assez logiquement le lieu d’éveil de tout bon super-héros. Mais Cumberbatch n’a pas enfilé la doudoune high-tech, on crie à la rencontre manquée.

D’un côté Everest, un gros 65 millions de dollars de budget, des têtes connues à tout coin de l’écran. Hollywood s’empare d’un spectacle tout trouvé : une ascension réelle de mai 1996 historiquement meurtrière, une tempête, beaucoup de neige, un mari héroïque, sa femme enceinte restée à la maison (le livre d’un survivant de l’expédition avait déjà été adapté en téléfilm dans Mort sur le toit du monde). C’est l’occasion de ressortir le grand frisson de l’usine à rêves, les clichés sur l’homme du tiers-monde, les violons, la routine lacrymale. La tragédie semble juste avoir trouvé un nouveau cadre pour faire pleurer, parce que oui, la montagne est cruelle, et l’argent dépensé n’a pas sauvé les touristes à peine préparés.

La nature n’épargne décidément pas les hommes – toutes les scènes ou presque furent tournées en studio –, nature belle et sauvage dans un pays si plein de sagesse et de traditions millénaires. Hollywood est en marche, le film eut même du succès au Népal.

Everest : attention gros frisson

De l’autre côté, L’Ascension : un héros de La Courneuve un peu paumé, qui décide pour un pari amoureux étrange de gravir l’Everest. À l’écran se retrouve le héros du film français presque classique – le cinéma aime passionnément l’héritage du roman d’initiation. Dans l’héroïsation systématique de ceux qui, a priori, ne sont pas destinés à devenir héros (Intouchables entre mille), ce cinéma populaire a une préférence affirmée pour tout ce qui est réunion des contraires, principe de la comédie depuis l’Antiquité (Christian Clavier aime bien). Dans le film français moyen, le héros que l’on n’attend pas prouve sa valeur et trouve sa légitimité, dans un arrière-plan bien entendu social. Un vieil homme élégant a versé quelques larmes dans la salle obscure de l’Odéon. Si c’est inoffensif, au moins il restera peut-être les sanglots.

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« L’Ascension c’est vraiment sympa, un film sans prise de tête »

Chacun sa vision de l’exotisme d’altitude, donc. Mais il faut rendre justice au candidat français qui garde une fraîcheur et une certaine naïveté, force tirée du personnage qui comme le spectateur n’a sans doute pas tant de notions d’alpinisme. Le film est davantage honnête dans son portrait du pays ouvert au tourisme mais resté traditionnel, fidèle aux Népalais et à leur sobriété en tout. L’effort technique est à saluer, celui de filmer là-bas, première fiction à filmer jusqu’au camp de base de l’Everest, c’est-à-dire à plus de 5 300 mètres d’altitude. Tout y est moins pesant, la nature y est plus simple et donc plus belle. Ce film respire la bonne volonté, ce qui en soi peut ressembler à une réussite – rien ne cède au spiritualisant un peu facile.

Face à l’obsession du tragique de l’un, se trouve donc l’optimisme acharné de l’autre.


Au fond, ces deux films abordent plus ou moins ouvertement les mêmes thèmes. Longtemps objet lointain intouché près de l’Inde anglaise, le Népal s’est enfin ouvert au tourisme, d’abord lieu de projection des fascinations hippies dans les années 1960, puis des mordus de haute montagne. L’enjeu de l’accès pour tous aux sommets est porteur, les expéditions d’aventuriers légendaires vont, à partir des années 1980, muter en « l’ascension pour tous », en échange de quelques dizaines de milliers de dollars. Là réside la tragédie d’Everest – parce que l’ascension est devenue possible financièrement, elle l’est devenue dans les esprits. L’argent dans les consciences de tous a dompté la montagne. Certains jours, le nombre de personnes à atteindre le sommet, en un journée, est monté à plus de cinquante. L’Occident riche qui s’ennuie a laissé des corps là-haut, inexpérimentés, qui ne seront jamais descendus. Certains alpinistes disent que le sommet commence à être pollué, comme le mont Blanc l’est déjà. Des règlementations ont été établies, mais pas si despotiques – vous trouverez une formule tout compris en deux clics en cherchant sur Internet « ascension Everest ». Qui que vous soyez.

Nadir Dendoune, « un tocard sur le toit du monde »

La morale est que cet homme dont l’histoire fut adaptée au cinéma est soit incroyablement chanceux, soit d’une force vitale assez supérieure à la normale. Il est plutôt peu probable que le film ait lancé des vocations ; quoi qu’il en soit, il parle pour toute la comédie populaire française. Mais loin du sur-fourrage impérialiste d’idées préconçues, le film est humain, frais, sympathique – c’est-à-dire inoffensif, mais il n’a jamais eu d’autres prétentions, c’est donc une victoire finale que cette Ascension.

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