Rebeka Warrior. Leader du dancefloor

Quand elle ne se produit pas avec ses comparses Mitch Silver ou Carla Pallone pour Sexy Sushi et Mansfield. TYA, Julia Lanoë « djsette » en solo sous le nom de Rebeka Warrior. De ses sets convulsifs que l’on déconseille aux épileptiques, rythmés de morceaux qu’elle va chercher dans les courants techno, gabber ou métal hardcore, Rebeka fait jaillir la rage qui l’anime à coups de bpm (battements par minute) se rapprochant dangereusement de ceux d’un cœur frisant l’arrêt cardiaque. On lui connaissait déjà sa capacité naturelle à mettre le bordel pendant les concerts de Sexy Sushi, et ses performances individuelles ne dérogent pas à la règle : il a fallu à peine dix minutes après le premier beat lancé au Biches Festival pour assister à une invasion sur scène de spectateurs frénétiques, sous le regard ébahi des agents de sécurité.

Rencontre.

Manifesto XXI – Contre quoi es-tu en guerre, Rebeka Warrior ?

Rebeka Warrior : C’est tout con : contre le capitalisme, la consommation, le monde sous sa forme actuelle.

Tu fais aussi partie de Sexy Sushi et de Mansfield. TYA, mais avec Rebeka Warrior, tu fais seulement des DJ sets. Pourquoi ce choix ? 

Je suis dans une période où je n’ai pas spécialement envie de composer. J’écoute énormément de musique, au moins trois heures par jour, donc j’ai surtout très envie de jouer la musique des autres, en fait. Et finalement, les DJ sets sont aussi à considérer comme une forme de création. C’est assez éclatant de faire ça, parce que je me permets pas mal de libertés, je chante, et il y a aussi Erwan qui vient danser.

Comment les prépares-tu ?

Je ne les prépare pas. La majorité des DJ fonctionnent un peu comme ça, je pense. On range nos morceaux par bpm, on les connaît par cœur, et une fois sur scène, suivant l’ambiance et ce que les gens ont l’air d’apprécier ou ce que je veux faire, je vais piocher dans mes boîtes de bpm. Mais je fais aussi beaucoup selon mes envies, pas seulement en suivant ce que le public demande.

Tu es d’accord pour dire que lorsque tu es sur scène, tu dépasses le simple concert et tu produis une véritable performance, au sens artistique du terme ?

J’ai toujours ressenti, et j’aime la scène comme ça. J’appréhende la scène de la même manière que les gens du théâtre ou de la performance dans l’art contemporain. Déjà, parce que ça me gaverait de faire toujours la même chose, de suivre toujours le même schéma sur scène. Tu me demandais tout à l’heure contre quoi j’étais en guerre, et il y a de ça aussi. Je suis contre la consommation de concerts et je suis pour la performance vivante, l’instant présent.

Tu as lancé « Follow The Leader », une série de mixtapes qui portent le nom de grands dirigeants politiques ou sectaires. C’est quoi, au juste ?

Je suis partie du postulat qu’il y a des musiques faites pour partir en guerre, des musiques pour de grands événements politiques. Tu lances ça et toutes les foules te suivent. Je trouve qu’il y a un peu de ça pour la figure du DJ. La musique peut rendre les gens dingues, créer des mouvements de foule, des moments de transe. C’est de là que tout est parti. La première mixtape est sur Raël, un mec qui a vu des extraterrestres et monté sa secte. C’est très suspect et très malsain, mais c’est ça qui est fascinant. Je pense en faire aussi sur des dictateurs comme Hitler, en mettant un morceau de Ich Bin dedans, ce fameux groupe de Non-Mulhouse. Je trouvais ça intéressant de faire ce crossover entre pouvoir et musique.

On définit souvent Sexy Sushi comme un groupe électro-punk. Mais est-il encore possible aujourd’hui de s’affirmer comme tel, d’être vraiment offensif à l’ère des réseaux sociaux et du slacktivism ?

Ce n’est pas moi qui me suis mis cette étiquette, donc je ne la revendique pas vraiment, au final. De toute façon, depuis les Sex Pistols, le punk est mort (RIP), ça ne veut plus dire grand-chose. Après, je pense qu’on a toujours la possibilité d’être libertaire et en revendication contre le système. Et ça, je le suis, mais pas à la manière des punks. Je suis même encore un peu idéaliste et utopiste.

Vous puisez dans tellement de courants différents, souvent hardcore (techno, gabber, métal…), qu’au final vous avez créé votre propre style. Vous en êtes conscients ? D’être à l’origine d’un mouvement ?

Pour moi, on était dans la continuité d’un truc avec les Bérus, et Mitch était issu d’un mouvement techno de Détroit, donc on était affiliés à ça. Mais aujourd’hui, c’est vrai, on a initié la techno chantée en français.

Ça veut dire qu’être artiste aujourd’hui, c’est créer son propre style ?

Ça veut surtout dire créer quelque chose de neuf.

Avec Sexy Sushi, vous êtes en pause depuis 2013 ; pourtant, le contexte politique et social actuel fournit beaucoup de matière. Ça ne vous inspire pas pour sortir un « Meurs Meurs Cyril Hanouna » ?

Justement, avec Mitch, on a toujours refusé de dire que l’on faisait du politique ; en fait, on est plutôt apolitiques. Avec nos textes, on peut penser que Sexy Sushi est engagé, mais on ne s’est jamais engagés dans rien. On se rapproche plutôt de l’absurde, en fait. Un jour, je vais dire « Meurs meurs Jean-Pierre Pernaut », et le lendemain je vais dire que j’ai envie de l’épouser. Et finalement, le contexte politique a toujours été assez merdique pour s’en inspirer dans nos chansons. Mais non, rien de prévu. J’aime bien qu’on fasse des pauses, autant avec Sexy Sushi qu’avec Mansfield. TYA.

Donc vous n’avez pas prévu de revenir bientôt ?

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Non, pas vraiment. On reviendra sans doute à 80 ans avec des déambulateurs pour faire un sacré coup d’éclat et avoir une blinde de succès !

D’ailleurs, il va bien Mitch ?

Oui, tout roule, il fait ses projets de son côté, il est sage.

On te retrouve dans le line-up de plusieurs festivals engagés pour les causes féministe (Les Femmes S’en Mêlent, Causette, Voix de Femmes…) et queer (Loud & Proud). C’est important pour toi ?

Oui, évidemment. Je suis féministe, je suis lesbienne, ce sont des valeurs que je défends, donc je me sens à ma place dans ces programmations. Après, je suis musicienne avant tout, donc c’est surtout de musique que j’ai envie de parler. Quand je me rends à un festival, c’est avant tout pour la qualité de la musique qui est proposée. J’adore Loud & Proud parce que la programmation me plaît, pas exclusivement parce que c’est un festival queer.

Quel regard portes-tu sur la scène féminine des musiques actuelles ? 

La scène féminine m’intéresse énormément, j’aime bien me tenir au courant de ce que les amies font et de ce que font les autres femmes dans le monde en général, et voir que tous les féminismes se recoupent. Mais je m’intéresse aussi à la musique des hommes, la musique des gays, des Noirs, des moches, des cons, des gros, des petits.

Tu ne trouves pas ça contradictoire que la personne à la tête des Femmes S’en Mêlent, aka le premier festival français pour la musique féminine, soit un homme ?

Non, au contraire, ce que fait Stéphane Amiel est tout à son honneur. Pour moi, le féminisme doit aussi être porté par les hommes en priorité. Nous, on se bat comme on peut, mais on est habituées à être des femmes. Les hommes de 40 ans, qui sont blancs et dans la norme, ne se rendent pas compte qu’ils nous écrasent. Donc c’est aussi à eux de faire cet effort.

Aujourd’hui, tu joues au Biches Festival qui, dans l’ensemble, a une programmation plutôt rock sage et pop gentille. Tu ne te sens pas comme une outsider sur l’affiche ?

Ah ah, oui, c’est vrai ! Mais j’adore varier justement, autant sur la ligne de la programmation que sur les formats. Ici, on est sur un tout petit festival, très familial, mais demain je joue à Garorock, donc c’est plutôt cool d’alterner. Et j’aime bien aussi varier entre des festivals exclusivement techno et d’autres avec une programmation plus éclectique. Les publics ne sont pas les mêmes, donc c’est marrant aussi de voir différentes réceptions à mes DJ sets.

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