Pourquoi le porno est une industrie culturelle

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L’interrogation vous paraîtra rhétorique, choquante, ou absurde selon votre sensibilité au sujet. Néanmoins, force est de constater que le porno est partout, tout le temps et que la réponse à cette question est bien « Oui, le porno est une industrie culturelle ». Et cette réponse dérange en soi, sans doute parce que cela ne colle pas vraiment avec notre idéal de « production culturelle », à des canons de bon goût et de bienséance. Pourtant cette idée pourrait ne pas nous déranger si nous nous retrouvions dans des productions vraiment excitantes, émancipatrices et créatives. Alors le porno, esthétique préfabriquée ou champ de bataille ?

Le pouvoir du porno, érotisme sous influence

Les multiples pratiques et définitions du porno en font un monstre insaisissable, de la vidéo amateur aux superproductions Marc Dorcel. L’industrie porno pèse lourd, très lourd économiquement, c’est une première chose à prendre en considération. Même si le sexe n’a pas échappé aux tendances de DIY ou d’ubérisation via les cam girls, l’industrie porno pèserait environ 50 milliards d’euros.

L’art érotique a toujours existé, et existera probablement encore longtemps. Mais le porno tel que nous le connaissons s’est vraiment développé avec les moyens de production de la culture de masse, comme le cinéma et la photo. Saviez-vous que la France, berceau du matériel cinématographique et photographique, fut aussi leader de la carte postale coquine pendant les Années folles ? Le porno a permis une certaine libération sexuelle dans les années 70 et 80, accompagnant nos désirs d’émancipation et d’hédonisme. Quand parler de sexe était encore tabou, le cinéma rose était le média d’éducation sexuelle de référence… et l’est encore aujourd’hui, pour le meilleur et pour le pire. Car si le porno est bien une industrie culturelle, il est aussi l’espace dans lequel la domination masculine est encore la plus criante…

Ce n’est que tardivement (2014) que les porn studies ont émergé. Pourtant il y a fort à étudier tant l’influence du porno sur nos pratiques sexuelles est importante, que nous soyons consommateurs directs ou non. C’est ce que souligne plus ironiquement le clip de Vald, « Selfie #1 », avec la porn star Nikita Bellucci.

Mais voilà, il n’y a pas que le pouvoir de médiation qui en fait une industrie culturelle. C’est aussi la médiatisation croissante de ses acteurs et réalisateurs qui semble être le plus remarquable aujourd’hui. Le porno a fait un long chemin, pour de tabou devenir totem.

De pop stars à porn stars : le star-système parallèle

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James Deen à la Mostra de Venise en 2013

Plus triviale, l’idée que le porno pourrait être envisagé comme une industrie culturelle à part entière a commencé à faire son chemin en considérant la multiplication des sujets consacrés (Les Inrocks, Tracks…) à des porn stars qui ne se cachent plus : James Deen, Stoya sont ainsi consacrés comme les « Brangelina » du X. Nos contemporains ne se cachent pas, et sont même plutôt populaires. Au point que la belle Stoya faisait la une du magazine américain The Village Voice en 2013, proclamée plus belle fille de New York.

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Signe d’une certaine banalisation/émancipation d’accord ; ce qui semble un peu plus inquiétant, ce sont les nombreuses vocations suscitées par le métier de hardeur et autres métiers dérivés du show-business du sexe. C’est ce que révèle le documentaire Hot Girls Wanted, présenté au festival de Sundance en 2015. L’envers du décor est beaucoup moins glamour que ce dont rêvent nombre de jeunes qui se lancent dans une carrière. À tel point que lorsque Rocco Siffredi a ouvert son « Université du hard », les candidatures ont afflué de toute l’Europe ! Le porno, donc, reproduit une forme de star-system avec ses acteurs de prestige, ses starlettes et ses amateurs. Les projets artistiques « behind the scene » se multiplient aussi pour révéler l’envers du décor, comme la BD de Lisa Mandel et le travail de la photographe Sophie Ebrard.

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À chaque époque ses stars, et ses esthétiques, et comme d’autres productions culturelles le porno a suivi, adopté, fait et défait des codes. Le tout produit une histoire originale, qui déborde des simples productions audiovisuelles. Le porno a flirté avec les mondes de l’art, de la mode, de la musique même comme très récemment Stoya faisait une intrusion dans le clip d’Adanowsky.

Et après, quelle culture porno voulons-nous ?

Si l’idée que le porno est une industrie culturelle dérange, c’est bien parce qu’on peut tout caler dans le grand fourre-tout « culturel », et surtout que les productions ne sont pas jolies jolies à voir. Reconnaître le pouvoir et l’importance du porno aujourd’hui, que l’on soit abolitionniste ou pas, c’est peut-être déjà un pas vers une dé-culpabilisation des utilisateurs et utilisatrices. Mais qui n’aurait pas honte de la pauvreté des représentations de certaines catégories proposées ?

Le porno peut encore aujourd’hui être porteur de changement, terrain de bataille pour la reconnaissance de toutes les sexualités, comme celle des trans qui dérange ou plus simplement, peut-être est-ce le meilleur terrain pour en finir avec la culture du viol. C’est en tout cas ce qui semble être au cœur du mouvement de PorYes, et de tout le travail de la réalisatrice Erika Lust qui suscite beaucoup d’enthousiasme et d’espoir. L’abolitionnisme semble être matériellement irréalisable, et paraît plus être un désaveu, là où l’érotisme peut satisfaire respectueusement les fantasmes des uns et des autres.

Alors, comment comprendre et mieux accepter le porno ? Reconnaître son utilité et protéger certaines productions ? Qu’est-ce qu’en parler ainsi peut apporter ? Peut-être déjà de dé-culpabiliser nombre de personnes, surtout les femmes qui en regardent. Et puis aussi de lui assigner éventuellement de regarder ces images différemment, avec recul, et de se demander ce qui nous excite vraiment. Parce qu’il renvoyait à l’intime, au privé, reconnaître l’importance du porno a longtemps été impossible. Mais alors que le désir est une marchandise de plus en plus commune, il est temps d’analyser nos désirs et de consommer différemment. Nous aurions tous à y gagner. Enfin, surtout les hommes qui apprendraient peut-être plus rapidement l’existence du clitoris et du plaisir féminin.

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