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Pol Kurucz : du glam trash militant à Rio. Rencontre

Pol Kurucz : du glam trash militant à Rio. Rencontre

Pol Kurucz, artiste franco-hongrois, crée en 2011 en Hongrie, puis en 2013 à Rio, le Kolor Art Collective. Du théâtre à la photographie, le maître-mot est contraste. Contraste qui naît d’une rencontre entre le glam, le luxe et le trash du milieu alternatif. Fusion percutante et éclatante permettant au photographe de dénoncer et d’appuyer là où les sociétés en ont besoin. De Paris, rencontre avec un « microcosme anarchiste militant » au cœur de Rio de Janeiro.

Comment as-tu créé le Kolor Art Collective ?

J’ai fait des études de théâtre et d’économie. Économie car je savais que j’aurai besoin de thunes. Je voulais faire des projets en étant indépendant. J’aime l’indépendance dans mon travail. Le théâtre c’est bien, mais en Hongrie comme aux États-Unis, il n’y a pas de sous pour ce métier. Je voulais vivre de mon art. J’ai donc créé le projet Kolor.

Au début, c’étaient des programmes alternatifs, des spectacles, des expositions, des fêtes, on a occupé des espaces divers. À chaque fois, l’idée était de créer des choses totalement différentes et d’avoir une promotion des artistes qui transforment les concepts basics de fête et d’exposition pour en faire un truc délirant.

Série
Série « SM Family » © Pol Kurucz

Par exemple, on a fait un événement qui s’appelait « Vernissages ». On prenait les discours de vernissage les plus chiants du monde et on les transformait. Le mec faisait le discours en rappant avec une fille qui faisait un strip-tease à côté. C’est pour critiquer tout ce qui fonctionne en système, même les fêtes : on te met un petit bracelet, tout est en fait très normé.

Ça c’étaient les débuts du collectif né en Hongrie en 2011. Ensuite on a loué un espace et c’est devenu un des plus grands bars culturels alternatifs de Budapest qui s’appelait Kolor, que j’ai vendu en 2013. Il n’y avait pas de limites. Tous les événements LGBT c’était chez nous, on faisait se rencontrer toutes les communautés. L’endroit était totalement délabré et deux ans après c’est devenu un attrape-touristes à Budapest. Je suis parti et j’ai recréé la même chose à Rio. On a trouvé une maison abandonnée. Là je me suis mis à la photo, il y a un an.

Qu’est-ce qui t’as mené à la photographie ?

Un jour à Paris, je suis passé devant Taschen, et j’ai découvert un bouquin sur David LaChapelle : je n’ai pas vu des photos, j’ai vu ce que je faisais au théâtre, de la mise en scène, du n’importe quoi structuré. Quand je suis revenu à Rio, j’ai commencé à faire des photos, beaucoup de photos, et les gens du collectif m’ont dit que ce serait bien d’en faire pour Kolor. J’ai gardé l’équipe, une est dans la mode, l’autre plus dans la musique. On est allés dans un endroit (assez dangereux d’ailleurs) et on a fait des photos.

On a encore beaucoup à faire. J’ai un truc dans la tête : faire quelque chose d’encore plus glamour et d’encore plus trash, des contrastes encore plus forts.

Série
Série « Angry Dolls » © Pol Kurucz

Quelle est ta définition du glam trash ?

Plutôt que de faire une définition, je vais expliquer les choses de la manière suivante : tu marches dans la rue. Une rue mouvementée avec de grosses vitrines, des gens qui crient. Là sur ta droite, tu vois un terrain vide délabré. Pour que tu t’arrêtes, et même si tu es pressé, il faut qu’il y ait un impact, que ce soit grâce à l’image, la couleur, le message. Le but est chaque fois de créer un contraste qui te ferait t’arrêter dans la rue. Si l’idée n’est pas assez puissante pour que tu t’arrêtes en passant dans les grandes avenues, on ne le fait pas. Avant de définir le glam trash, il faut définir la distance entre le glamour et le trash, et c’est ça le plus important. C’est un conflit.

Quand je faisais du théâtre, c’était la guerre des Balkans. Il est arrivé quelque chose que je n’oublierai jamais. C’était l’époque où tous les festivals d’Europe centrale ont été gagnés par des Serbes. Pourquoi ? Ils n’avaient plus d’argent, plus de théâtre. Mais ils avaient la haine, ils avaient l’amour, la peur, des conflits qui font que ce n’était pas de l’art bourgeois, de l’art calme et gentil.

Je pense que c’est assez spécifique à la photographie. Tu as un univers sophistiqué propre à la photographie de mode. Mais le photographe de mode est limité dans la manière de photographier une collection. Tu ne peux pas avoir quelqu’un dans les égouts qui brandit un drapeau car tu ne vas plus voir la robe par exemple. La composition est limitée. La limite est commerciale, même si les grands groupes font des efforts pour être plus cool. Tu vas toujours avoir la femme du dictateur du Gabon ou le prince d’Arabie Saoudite qui vont acheter ces trucs-là. C’est osé gentil. L’univers glamour a donc des qualités même s’il est limité.

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Série « Anti Humans (set 2) » © Pol Kurucz

Et d’un autre côté tu as un monde plus trash, celui de l’alternatif, des artistes, des producteurs culturels, qui font du documentaire, qui ouvrent des galeries, qui font quarante-trois résidences, c’est plus mon monde à moi. Mais tout ce qui sort de cet univers-là y reste. Ça n’a pas la puissance et la qualité du glamour, et ça n’a pas toujours l’objectif de communiquer de façon plus populaire. Les valeurs de ce microcosme alternatif trash, ce sont les miennes. Mais en même temps j’aimerais communiquer de façon à faire passer le message dans des magazines, dans des circuits qui ne s’intéressent pas à cet univers alternatif et militant.

Voilà pour la distance et le peu de communication entre ces deux mondes. Ensuite il y a le contraste.

Moi je me considère comme un disciple de cette forme d’art que fait LaChapelle, je ne me considère pas comme photographe.

L’engagement est-il toujours présent dans tes photos ?

Oui, ça fait partie de l’identité de mes photos. Un designer qui s’appelle Fernando Cozendey m’a demandé de faire des photos pour un éditorial. J’ai accepté de faire les photos de ses pièces à condition que l’on parle du traitement des animaux. L’idée était d’inverser les rôles, que ce soit les animaux qui martyrisent les êtres humains.

J’ai une conviction : plus je vais faire des photos qui sont compatibles avec le monde glamour et le monde du luxe, plus je vais utiliser des thèmes provocateurs, plus les photos vont avoir un impact.

Série
Série « Orgasmic Assault » © Pol Kurucz

Donc c’est le style approprié pour faire passer des messages ?

Oui, et c’est aussi une projection de moi-même. Bon, pour le glam je ne m’habille pas forcément bien, mais c’est mon goût esthétique, un goût pour certaines formes et textures. J’ai une série de photos contre le luxe ; mais sans le luxe, il manquerait un élément essentiel que je trouve extraordinaire dans l’art photographique.

Pourquoi le nom de « Zones » pour tes séries photographiques ?

J’ai choisi « zones » car ça fait industriel, ça fait fermé. Mais le nom peut changer demain !

Pour chaque « Zone », pourrais-tu nous expliquer les messages que tu as voulu communiquer ? On voit que tu t’inspires d’enjeux présents dans différentes cultures dont tu as fait l’expérience.

Mes références viennent effectivement de ce que j’ai vécu à Paris, aux États-Unis avec le pop art qui m’a beaucoup influencé, et aussi au Brésil.

« SM Family » : l’idée était de dire qu’il y a mille façons de vivre et de penser la famille. C’était contre les dogmes familiaux. C’était l’époque des débats autour du mariage homosexuel.

Série SM Family ©Pol Kurucz
Série « SM Family » © Pol Kurucz

« Anti Humans » : rébellion des animaux contre les êtres humains, avec des clins d’œil aussi aux indigènes en Amérique du Sud qui voient leur habitat détruit.

Série Anti Humans ©Pol Kurucz
Série « Anti Humans » © Pol Kurucz

« Infernal Factory » : question raciale actuelle au Brésil, le traitement de la main-d’œuvre noire par la minorité riche blanche au Brésil.

Série Infernal Factory ©Pol Kurucz
Série « Infernal Factory » © Pol Kurucz

« Trump » : je crois qu’il n’y a rien à ajouter. Si j’en parle, j’en parle un jour entier. Le Brésil s’en fiche, c’est un grand pays en autarcie mais les gens qui s’en occupent le haïssent.

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Série « Triple Rex » © Pol Kurucz

« Girl Power » : série afro-féministe. C’est très brésilien l’afro-féminisme.

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Série « Girl Power » © Pol Kurucz

« Gender Flush » : contre les dogmatismes au niveau du genre.

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Série « Gender Flush » © Pol Kurucz

« Angry Dolls » : contre la dictature de l’esthétique de la beauté blanche au Brésil. Là il y a la polémique des poupées qui sont en majorité blanches. Le Brésil est un des pays les moins racistes du monde mais les séparations entre les classes sociales et les couleurs de peau sont très marquées.

Série
Série « Angry Dolls » © Pol Kurucz

« Ninjab » : je crois que c’est assez clair. La chose importante, c’est que c’est un homme voilé qui tire la voiture.

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Série « Ninjab » © Pol Kurucz

« Orgasmic Assault » : un magazine m’a contacté pour que je fasse une série de photos, ils voulaient que ce soit du porno subversif et en fait c’est parti complètement ailleurs, je leur ai raconté une histoire. Imagine un hangar dans lequel il y a un groupe qui s’appelle « Les Obscurs », ils habitent dans ce monde fermé. Ils sont nus, malheureux, ils ne font jamais l’amour, ils n’écoutent pas de musique. Là il y a un gang d’« Orgasmiques », qui se nourrissent de l’orgasme de gens, qui attaque ce monde-là. Les photos c’est l’attaque du gang. La scène finale, c’est la reine et le roi entrelacés dans le panier suspendu, elle l’emmène dans son monde loin des Obscurs.

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Série « Orgasmic Assault » © Pol Kurucz

« Jesuton » : la série n’est pas finie. Jesuton est une chanteuse qui a commencé dans la rue en mendiant et en chantant. C’est devenue une étoile, elle est super ! Elle m’a demandé de travailler avec elle, je lui ai juste proposé de faire des photos. Elles représentent son émergence de la pauvreté au monde glamour, dans la musique pop.

Série
Série « Jesuton » © Pol Kurucz

« DOB/RA Festival » : une série pour un festival, pas de thème particulier !

Série DO/BRA Festival ©Pol Kurucz
Série « DOB/RA Festival » © Pol Kurucz

Comment mènes-tu les shootings ? Tu axes sur l’impro ou tout est planifié à l’avance ?

C’est assez fixe. Je sais où je vais aller sinon ça serait difficile.

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Tu décris ce monde alternatif comme un « microcosme anarchiste militant », mais hors de ce monde, comment sont perçues tes photos ?

Super bien perçues car je n’attaque personne frontalement. Je n’ai pas envie de convaincre ni de forcer les gens. Le trash s’arrête à un certain point. Je crois en la dérision et en la force de la communication plus satirique. Et tu ne blesses personne.

Je crois que les gens qui sont vraiment bornés, très conservateurs, n’ouvrent jamais les pages où on voit mes photos, ils n’iront pas lire Manifesto XXI par exemple.

Justement, est-ce que tu arrives à amener vers tes photos les gens qui ne s’intéressent pas à ton univers ?

Les gens qui n’appartiennent pas aux extrêmes regardent, s’arrêtent, et je n’ai vu aucune personne dire que c’est nul, que c’est de l’art « pédé ». Je pense que les gens sont assez réceptifs aujourd’hui. Mais ta question est intéressante puisque ce n’était pas aussi clair au début. Le seul endroit où je reçois des commentaires « Mais tu es devenu pédé ! », c’est sur Internet et en Europe de l’Est surtout. Mais pour être sincère c’est tellement marginal, et ces commentaires viennent souvent de potes. Les seules personnes avec qui j’ai eu un réel accrochage étaient des gens de la communauté LGBT qui contestaient ma façon de traiter des sujets autour du genre. Le simple fait que je sois blanc, mec, étranger et hétéro est bon pour qu’ils mettent en question ma légitimité mais ça s’est arrangé. Il faut comprendre que dans le milieu militant tout le monde milite contre tout le monde !

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Série « Infernal Factory » © Pol Kurucz

Tu as déjà fait une exposition ?

J’ai donné mes photos à des galeries et à des centres culturels pour qu’ils les exposent. Mais moi je veux faire plus, je veux les montrer dans un contexte moins formel pendant un événement que je souhaite créer.

Si tu avais l’opportunité d’exposer partout dans le monde malgré certains messages, tu le ferais ?

Oui, absolument. Mais je suis dans une situation confortable : mec blanc hétéro. Je serais plus réservé s’il m’était arrivé des atrocités. En plus je suis chauve et musclé donc personne ne vient me chercher. Ce qui est intéressant c’est l’Israël. Tu as une minorité d’orthodoxes qui est en train de grandir et la droite de Netanyahou, en parallèle tu as un monde progressiste à Tel Aviv. On m’a appelé pour exposer là-bas, j’irai sans problème mais je sais que là il pourrait y avoir des critiques.

La musique que tu verrais avec tes photos ?

Mélange d’électronique le plus dark avec la musique de chambre de Lully. Une fusion de choses contradictoires. C’est comme les rappeurs qui utilisent la musique classique, je trouve ça super. On avait fait une soirée où tout d’un coup, après l’électro, il y avait un intermède avec un orchestre classique live. Tout le monde était en transe !

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Série « Anti Humans » © Pol Kurucz

Si un jour on te demande de travailler pour de la pub ou de la photo de mode, tu acceptes ?

T’as parlé à ma mère ou quoi ? Elle m’a posé la même question récemment ! J’ai des photos qui sont sorties dans Elle mais sans qu’elles soient guidées. J’ai fait des photos pour deux magazines qui vont sortir récemment aussi. Mon rêve c’est qu’une marque ou un magazine m’appelle et me dise : on veut des photos subversives de ton style. On veut une subversion de ce que l’on est et de ce que l’on fait. Aucune déification de l’habit, de la voiture, on veut un regard sur notre produit qui soit plus intéressant et humain. Et je ferai attention à l’éthique de la marque. J’adorerais !

Quelques mots sur la scène émergente à Rio ? 

La scène culturelle artistique à Rio et São Paulo est totalement dominée par le monde LGBT, un monde mille fois plus débridé qu’ailleurs. Ils vivent leur liberté d’une manière inédite. Sans limites, l’esprit brésilien.

Sinon tout dépend des domaines : le cinéma, la photo, il ne se passe rien. Niveau peinture et arts plastiques c’est déjà mieux. La scène musicale est intéressante. C’est surtout la scène des événements culturels qui est super. Il y a mille façons de s’exprimer, de s’habiller, de construire et de déconstruire dans des espaces divers. Mais il y a quelques problèmes : on est loin de tout, la barrière de la langue et les problèmes financiers de ceux évoluant dans ce milieu. Quand tu as l’argent tu peux bouger, découvrir, ça t’inspire, quand tu ne bouges pas c’est plus difficile.

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Série « Anti Humans » © Pol Kurucz

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