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Perez. De l’audace et du contraste

Perez. De l’audace et du contraste

Perez

C’est sur fond de Juniore, assis dans le jardin de la maison abandonnée faisant office de loges au Biches Festival à Cisai-Saint-Aubin en Normandie que Perez nous a fourni son regard éclairé sur la musique actuelle et surtout, sur son propre travail. Voix grave et sensuelle sur musique électronique faussement froide, Perez aime le contraste. Des textes poétiques, découpés sur des sonorités urbaines, l’univers y est étrange et sensible.

Perez
Perez ® Yann Morrison

Manifesto XXI – Tu viens plutôt de la musique ou de l’écriture ?

Plutôt de la musique, mais après j’ai fait des études de philo. C’était aussi important pour moi l’écriture. Disons que c’est assez simultané. J’ai quand même commencé par la musique. J’ai fait un peu de solfège quand j’étais gamin, genre vers 10 ans, mais pas le Conservatoire. Après le premier truc de rock que j’ai voulu faire, comme je savais jouer que du piano, et j’avais un pote qui jouait de la guitare, c’était une sorte de néo-métal dégueulasse, j’essayais de faire des basses au piano… C’était assez infernal (rires). Ça s’appelait Acarien Conspiration Theory, très mauvais nom. Il faut bien commencer quelque part.

Manifesto XXI – Tu prends quelle part dans la constitution de ta musique ? Est-ce que tu fais tout ?

Oui je fais tout. Après souvent à la fin, une fois que j’ai tous les morceaux, il y a un travail sur la technique sonore et du mix. Je ne fais pas le mix tout seul. Là je commence à m’y mettre mais jusqu’à présent j’étais toujours avec des gens pour finaliser. Sur mon album il y a aussi eu quelques musiciens additionnels.

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Manifesto XXI – Pourquoi le choix du français ?

Avant de faire ce projet, je faisais que des trucs en anglais. Ça me semblait assez logique, un peu par mimétisme parce que j’écoutais essentiellement des trucs anglo-saxons. Avec le groupe que j’avais avant qui s’appelait Adam Kesher, on a tourné pas mal en Angleterre et aux États-Unis. La dernière fois qu’on y est allés, j’en ai un peu un sentiment bizarre, à me dire que j’arriverai jamais à être totalement crédible, ne serait-ce que dans l’utilisation de l’accent. Je me disais que finalement il y a des mots que j’allais prononcer avec tel accent, d’autres avec l’accent d’une région opposée, des trucs à l’américaine, d’autres à l’anglaise. Je trouvais ça un peu bizarre et je sentais les limites dans l’anglais. Pas tellement dans l’écriture parce que finalement on peut faire des recherches, se faire aider. Mais plus dans l’incarnation du texte. Du coup, j’avais envie de passer à la langue française pour développer davantage l’écriture et ne pas avoir besoin de me faire aider, de faire un truc plus personnel.

Manifesto XXI – Il y a une scène française aujourd’hui, qui chante en français et qui n’arrête pas d’émerger. Tu penses que ça vient d’où ?

Je pense que parmi tous les gens qui font des groupes maintenant, on est tous nés avec la musique française des années 1990-2000, c’était vraiment l’horreur. Il n’y avait pas grand-chose à part, je sais pas, moi j’aimais bien Diabologum, deux trois trucs comme ça. Naturellement personne n’avait envie de chanter en français. En même temps, il y a cette expérience que j’ai eue avec l’anglais, le fait que ça soit une langue internationale et qu’il y ait des centaines de milliers de groupes qui sortent tous les ans. Les pays anglo-saxons en ont bien assez. Beaucoup de gens ont pris conscience que c’était un peu un leurre de se dire qu’en chantant en anglais on va pouvoir prétendre à une carrière internationale. Dans les trucs pop à part Phoenix, je vois pas, sinon c’est de la musique électronique. Après dans les trucs garage, plus indé, il y a quelques gens qui arrivent à tourner à l’étranger.

Je pense qu’il y a aussi l’idée qu’on est pas si mal lotis d’être Français, il y a un truc un peu excitant même si on se projette, qu’on veut faire de la musique à l’étranger. Il y a un truc cool dans le fait de chanter en français. Les premiers groupes qui ont passé le pas ont un peu désinhibé les autres gens. Il y a aussi eu la redécouverte d’artistes des années 80-70 qui ont fait des trucs superbes en français. C’est un peu un effet de groupe, il suffit que certaines personnes passent le pas et il y a un effet d’entraînement. Je trouve ça plutôt cool qu’aujourd’hui ce soit cette scène qui soit mise en avant, qui passe à la radio, dans les journaux plutôt que Cali ou Bénabar.

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Manifesto XXI – Quel est ton processus d’écriture ?

J’ai pas vraiment de méthode rigide. Il arrive que des fois j’écrive un texte, et que je le mette en musique, sinon je pars de gimmicks ou de boucles, j’essaye de plaquer quelque chose dessus. Après comme je suis seul, ce qui est un peu un truc chiant, on a pas cet effet – j’aime pas ce mot de vocabulaire d’entreprise – de « synergie » avec d’autres gens, l’effet d’entraînement. Comme je suis tout seul, pour réussir à avoir un peu ça, je fais vachement de découpages, recollages. J’essaye de pousser les idées au maximum. J’ai un texte, je le mets en musique, après je me dis que tel truc marche pas, je refais la musique, je redécoupe, je fusionne deux textes.

Ça arrive de faire un premier jet vraiment cool, mais moi la plupart du temps il y a un truc un peu maladroit dans l’écriture. On essaye de faire passer des choses très personnelles et dans la première façon dont on l’exprime il y a un côté journal intime, que j’aime pas trop dans la chanson. Souvent le découpage des textes, sorte de cut-up, ça sert un peu à les mettre à distance, à les rendre plus étranges, qu’il y ait davantage de sens poétique.

Manifesto XXI – Tes textes sont assez narratifs, est-ce que tu as des influences littéraires ?

Je lis beaucoup, après j’ai pas un auteur particulier. Quand j’ai commencé ce projet j’étais un peu influencé par les premiers Houellebecq, une sorte d’écriture assez neutre. C’était un mélange entre les premiers Houellebecq dans un truc assez naturaliste avec peu de lyrisme et un truc de littérature fantastique, partir d’une situation assez banale et d’amener petit à petit quelque chose d’un peu fantastique.

Manifesto XXI – Et dans le cinéma, ta musique étant assez évocatrice ?

Le truc assez cinématographique c’est qu’il y a beaucoup de descriptions. L’interaction entre la musique et la description crée un climat qui peut évoquer une scène. C’est encore ce truc de mise à distance, j’aime bien écrire des textes à la troisième ou deuxième personne pour me mettre à l’extérieur, davantage comme si je décrivais un tableau.

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Manifesto XXI – Tu as un timbre de voix qui se rapproche pas mal de Gainsbourg ou Bashung, est-ce que tu as été influencé ?

Oui j’aime beaucoup les deux, après j’essaye de m’en détacher sur les nouveaux trucs que je suis en train de faire. C’est vrai que quand j’ai commencé, c’était quasiment simultané le fait que je me mettais à vraiment apprécier la musique française même si je connaissais ces deux chanteurs. Sur mon premier disque par rapport à Bashung c’était un peu une sorte d’hommage. Après c’est une question de timbre de voix un peu grave. Mais il faut tuer le père.

Manifesto XXI – Tu parles beaucoup d’influences des années 80, etc. Quand on discute avec les groupes de ta génération on note un regard sur le passé, un certaine nostalgie. Est-ce que tu as une explication ?

Je ne me sens pas nostalgique, je suis content d’être dans cette époque. Après je pense que regarder vers le passé ça donne des outils critiques. Il y avait une forme de liberté notamment dans les textes des années 70 qui s’est peut-être perdue à cause d’un climat de l’industrie du disque, une sorte de gestion du risque qui a été de plus en plus importante dans les industries culturelles, qui se trouve aussi au cinéma avec des producteurs qui sont moins audacieux, persuadés d’avoir les formules gagnantes. Là où notre époque peut ressembler un peu aux années 70 c’est qu’on a peut-être l’espace pour faire ça avec la crise du disque.

Vu que les labels ont l’air tous complètement paumés sur ce qui marche et ce qui marche pas, à nouveau j’ai l’impression qu’il y a de l’espace dans une musique, disons pop, de faire des choix un peu plus audacieux et c’est les groupes un peu plus indé qui peuvent faire ça. On peut se servir des années 70-80 comme inspiration. L’idée c’est pas de faire de la vintagerie, de refaire à l’identique ce qui a été fait à ces époques mais de s’inspirer d’un esprit assez intrépide et aventureux. J’ai l’impression que les gens qui aiment la musique réclament ça. Ces dernières années, les choses qui ont frappé les esprits c’était souvent des prises de risque artistiques. On est moins dans le formatage des années 90 avec les compilations des boys bands, le top 50 c’était assez chaud quoi (rires).

Perez
Perez

Manifesto XXI – Tu parles de prises de risques, ça me fait un peu penser à l’enfance où tu ne penses pas trop à ça, tu es plus aventureux. J’ai l’impression que dans ta musique il y a un certain rapport à l’enfance. Je pense à « Gamine », « Les vacances continuent », « Super héros »…

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Je t’avoue que j’y avais jamais trop pensé. Ça rejoint ce que tu disais, dans l’enfance il y a une audace qui se perd. On constate souvent ça, dans le caractère des gens, ça a tendance à se recroqueviller quand on y fait pas attention. L’enfance comme un moment où on tente beaucoup de choses, on a un regard sur le monde ouvert, pas trop construit donc assez élastique et spontané. C’est une sorte de chose qu’on peut viser, une sorte d’horizon. Sinon j’aime bien les enfants (rires).

Manifesto XXI – Tu dis souvent que tu aimes le contraste entre la musique froide électronique et les choses un peu plus organiques. Qu’est-ce que tu aimes dans le contraste ?

C’est de l’ordre de la sensation donc c’est difficile de mettre des mots dessus. Il y a eu la musique industrielle et toute la musique née de l’héritage industriel, analogique et des nouveaux outils numériques, c’est une musique hyper contemporaine et qui résonne dans le monde dans lequel on évolue. La musique actuelle est toujours excitante. Cet effet de contraste entre la voix humaine et l’expressivité d’un texte et derrière le truc de loop, ce que peut avoir de martial la techno, ça crée un contraste que je trouve agréable à écouter.

Un groupe qui a hyper bien fait ça, qui a amorcé ça, c’est d’ailleurs d’actualité avec la mort d’Alan Vega, c’est Suicide. Sur le premier album, tu as un truc hyper mécanique dans la répétition, dans l’utilisation de synthétiseurs et de boîtes à rythme. Et en même tu as le chant d’Alan Vega qui est quand même un truc hyper sensuel de crooner américain à la Presley. Ce mélange des deux crée quelque chose d’hyper sensuel et en même temps très urbain. Pour moi c’est vraiment une référence, même si ma musique n’a pas grand-chose à voir avec Suicide, dans cette alliance de deux éléments qui a priori n’étaient pas censés se rencontrer, c’est fort.

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Manifesto XXI – On en revient à une question plus concrète, comment ton équipe live s’est-elle constituée ?

C’est Pierre et Baptiste qui m’accompagnent sur scène. Pierre je le connaissais depuis longtemps puisqu’il jouait dans Fortunes et avec mon ancien groupe Adam Kesher on était label mates. On a fait des concerts ensemble. Baptiste je l’ai rencontré parce que c’était un pote de mon manager. On cherchait des gens et il m’a proposé de le rencontrer, ça s’est fait assez naturellement. Je suis content d’être accompagné sur scène, ça permet de réinterpréter les morceaux.

Manifesto XXI – D’ailleurs, comment tu conçois le live ?

Il y a tout ce truc de l’incarnation qui se joue vachement en live, par la gestuelle, par la manière dont on interprète le texte. Comme Baptiste et Pierre interviennent juste sur le live, pas dans la composition des disques, sur scène je les laisse proposer des choses. Il y a un truc un peu plus sauvage dans le live. J’aimerais plus tard pouvoir modeler les morceaux suivant les contextes dans lesquels on joue. C’est vraiment l’intérêt du live de pouvoir continuer à faire vivre les morceaux, les réinterpréter constamment à travers les concerts.

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