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L’éternel féminin de Léa Chassagne

L’éternel féminin de Léa Chassagne

L’illustratrice Léa Chassagne décline avec beaucoup d’humour les images mythiques de la femme à travers les siècles. Au milieu d’étranges univers pop, à la fois luxuriants et désertiques, les idoles énigmatiques de Léa Chassagne s’imposent hiératiquement. Mais la femme n’y occupe plus le rôle de la muse passive : elle devient l’actrice clownesque d’un monde hypnagogique. Des feuilles, des femmes, des couleurs : on s’y sent bien ! Nous la retrouvons dans la charmante et accueillante Slow Galerie, à l’occasion de sa première expo solo qui se tiendra jusqu’au 3 juin 2017.

Manifesto XXI – Quel est ton parcours ? Comment en es-tu arrivée au collage ?

Léa Chassagne : J’ai fait un bac ES. J’étais intéressée par tout ce qui était artistique, mais je ne savais pas exactement ce que je voulais faire. J’ai fait une prépa d’art à l’Atelier de Sèvres et j’ai rejoint LISAA, qui est une école de graphisme et d’illustration. J’y suis restée deux ans. Là, j’ai commencé à toucher un peu à l’illustration, mais je ne faisais pas du tout de photomontage et de collage. Ensuite, j’ai cherché du boulot, je suis rentrée comme stagiaire dans une agence de publicité qui s’appelait Leg Agency. J’y suis restée comme freelance et j’ai appris à dompter un peu Photoshop. J’ai ensuite développé ce que j’avais appris du collage avec mon propre univers, dans l’idée de démarcher un agent d’illustrateurs et d’en vivre, d’avoir des commandes. J’ai rencontré Michel Lagarde d’Illustrissimo. Il m’a prise chez lui et j’ai commencé à avoir des commandes.

Europe © Léa Chassagne / Slow Galerie
Europe © Léa Chassagne / Slow Galerie

Tu savais déjà, avant ça, que tu voudrais vivre de l’illustration ?

Non, justement, j’étais assez sceptique du fait de pouvoir en vivre. C’est pour ça que j’avais choisi le graphisme, un métier d’art appliqué, qui me paraissait beaucoup moins dangereux que le métier d’artiste. Ça me semblait plus sage comme boulot. Par ailleurs, j’adore le métier de graphiste, de directeur artistique, que je fais en publicité et qui permet aussi d’alimenter ce que je fais en illustration. C’est ce qui m’a amenée à Photoshop : il y a une suite, une logique. Mais ce n’était pas du tout prévu ! Tout a un peu découlé de l’agence, finalement. Et maintenant, je ne travaille plus qu’à mi-temps dans l’agence, sur des commandes et sur des choses qui ne répondent aussi à aucune commande. Tout se nourrit mutuellement : le graphisme avec la composition, l’illustration avec des choses beaucoup plus libres, plus créatives. Quand j’en ai marre de la pub, je fais de l’illustration, et quand je me sens mieux je retourne à la publicité !

Colère © Léa Chassagne / Slow Galerie
La colère © Léa Chassagne / Slow Galerie

Comment t’est venue cette attirance pour les années 1980 ?

C’est assez récent. J’aime bien parce que j’aime ce qui est joyeux, ce qui est plein de vie. C’est drôle, les années 1980, et ça revient à la mode en ce moment donc je suis forcément influencée par tout ce qui se passe autour : les publicités, les photos, les magazines, la mode… C’est très années 1980 ! Je prends un peu des choses de partout. Il y a plein d’humour dans les années 1980, et c’est aussi hyper décomplexé. On s’amuse avec les années 1980.

Pourquoi, selon toi, cette époque revient-elle à la mode ?

Parce qu’on en a besoin, j’imagine. Dans le quotidien qui peut être un peu tristoune, un peu lourd, ça fait du bien de rigoler avec les couleurs fluo, le second degré.

Strip © Léa Chassagne / Slow Galerie

Mais tu réactualises ces années-là ? Car tu les mixes avec beaucoup d’images de l’époque contemporaine.

Je mélange tout ce que j’aime. Il va y avoir des images de la Renaissance, de la nature d’encyclopédies ou de livres de gravures, de la photo en noir et blanc des années 1950 que je vais coloriser. Il y a aussi beaucoup d’humour dans les années 1950.

Les publicités ultra misogynes, par exemple ? (rires)

Voilà ! Après, tu détournes tout ça ! Tu prends un personnages et tu lui fais faire tout ce que tu veux, c’est chouette. Et comme ça, tu traverses un peu les époques. C’est du mix d’images.

Comment procèdes-tu ? Tu vois une image qui te parle et tu la mets de côté pour un collage ?

Effectivement, soit ça vient d’une image et un personnage, un vêtement déclenche une envie chez moi. Ça peut être l’image d’un autre illustrateur, d’un photographe ou d’une publicité. Le but, c’est que je digère mes sources d’inspiration, que je me les réapproprie. En les croisant avec d’autres sources, le sens change, l’esthétique change aussi. Je donne une sauce commune à tout ça.

La pudeur © Léa Chassagne / Slow Galerie

Il y a des choses qui reviennent : le feuillage à la Douanier Rousseau, les couleurs bleu et rose.

La nature est assez présente, c’est vrai. Et je suis assez sensible aux couleurs. D’ailleurs, une simple association de couleurs déclenche un petit choc électrique qui va m’inspirer pour une création. J’aime bien que ce soit joyeux, positif ; si c’est drôle, c’est encore mieux. Mais je ne saurais pas décrire le style que ça donne ! Certains vont voir des choses plus surréalistes. D’autres vont plus voir les références classiques avec les poses des femmes. D’autres enfin vont voir des choses très « Douanier Rousseau » à cause de la nature. Clairement, ce sont toutes mes influences. Le seul point commun pour moi sera l’image positive, joyeuse et colorée ! Et la thématique…

Pourquoi la thématique de la femme ?

Je n’ai pas fait un choix défini avant l’exposition. On voulait faire une exposition avec Lamia à la Slow Galerie. Il fallait choisir une thématique. C’est après avoir produit cinq-six dessins que j’ai vu que les nanas nues étaient récurrentes. C’est intéressant car le prétexte de l’exposition te fait réfléchir sur ce que tu fais. Il y a quelque chose de simple et naturel dans la création du dessin. Et on revient ensuite dessus en voyant une possible ligne directrice.

J’ai vu la femme, mais quel type de femme ? Ce qui n’était pas évident, vu qu’il y avait un peu de toutes les époques. Ça m’a un peu étonnée au début, parce que je suis un peu garçon manqué. Cette vision idéalisée de l’éternel féminin est une vision plutôt masculine, les artistes étant majoritairement des hommes. Ils représentaient des femmes comme des icônes, un peu énigmatiques, inspirantes, que ce soit dans le cinéma, la littérature, les beaux-arts. Je trouvais que ce que je faisais allait plutôt dans ce sens-là, à la différence près que mes femmes sont plutôt actives dans le tableau. Elles sont plus créatrices que femmes-objets. Là, on se rapproche plus d’un propos féministe. Après, la notion d’éternel féminin appuie la notion de genre, ce qui n’est pas féministe. C’est un peu paradoxal. Mais ça représente aussi ma vision personnelle de la femme qui est une fascination, on ne sait pas trop pourquoi, pour un corps incroyable, inspirant, et en même temps autre chose qu’un corps. C’est ce que j’essaie de retranscrire volontairement et involontairement dans mes dessins. À la fois le côté de la fascination mythique et mystérieuse et le côté plus moderne de la femme maîtresse qui est le sujet du tableau mais pas l’objet passif.

Babel © Léa Chassagne / Slow Galerie
La baigneuse © Léa Chassagne / Slow Galerie

Et cette prégnance des feuillages ? 


Étant à Paris, je peux être frustrée par moments par le manque de nature. Chaque collage, je l’ai sous les yeux pendant un mois. Donc ça me fait du bien d’avoir ces paysages, ces jardins d’Éden que je me crée. À côté de ça, je vais répondre à des commandes pour des sujets plus pragmatiques, pour de la presse. Là, je vais parler de data, d’objets connectés, de régimes sans gluten. Bref, des choses qui collent à l’actualité et qui sont super riches ! Mais ça ne répondra pas à mes envies de nature.

J’imagine que tu préfères travailler, te lâcher en dehors des commandes ?

Pour moi, c’est complémentaire. Je pense que si j’étais tout le temps livrée à moi-même, sans contrainte, je m’épuiserais sûrement plus rapidement. Là, je suis toujours active et ça relance l’inspiration. Les commandes forment le contexte de la vie de tous les jours.

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Est-ce que, en jonglant entre ces différents domaines (illustration, graphisme), tu t’es posée la question du statut de l’artiste ? Est-ce difficile de s’affirmer en tant qu’artiste dans ces métiers ?

J’ai eu la chance que ça se fasse petit à petit. Jongler un peu partout me permet de gagner ma vie, d’avoir des collègues de travail, de travailler avec des gens, alors que tu es très seul lorsque tu travailles chez toi. Je préfère dire illustratrice qu’artiste car je trouve ça rassurant, et ça parle plus aux gens, ça leur fait moins peur…

Babel © Léa Chassagne / Slow Galerie

Qu’est-ce que ça veut dire, être illustratrice ?

L’illustratrice illustre normalement un propos. Donc il doit y avoir un texte en face. L’image vient appuyer le propos. Ensuite, ton dessin et ton propos font souvent une seule et même chose. Aujourd’hui, avec les arts qui se nourrissent, l’illustrateur peut être artiste et les métiers se décloisonnent.

À l’heure d’Internet, du numérique, du foisonnement d’images, quel est le rôle de l’illustrateur, du faiseur d’images ?

C’est à double tranchant. Ce flux d’images fait qu’aujourd’hui on peut avoir une visibilité assez vite, et en même temps, ça fait qu’on peut être beaucoup plus vite oublié et qu’il y a une concurrence avec beaucoup plus de monde. Je pense qu’on essaie de faire l’image la plus pertinente possible et de nourrir les autres, de les inspirer, de casser le quotidien avec un peu de merveilleux. Mon rêve, c’est aussi de réussir à bouger avec le monde moderne. C’est compliqué de se trouver une patte, un style, et de rester contemporain. J’aimerais bien continuer à évoluer, faire des affiches pour la musique, des festivals, des pochettes de vinyles.

Un dernier mot ?

Venez voir l’exposition à la Slow Galerie !

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