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L’Amour dure trois ans ?

L’Amour dure trois ans ?

L'Amour à Bagnolet

On le croyait définitivement fermé : le squat d’artistes de Bagnolet rouvre ses portes, après avoir hébergé des mineurs isolés tout l’hiver. (Re)découverte du squat le plus politiquement cool du 93.

Jours fériés en veux-tu en voilà, DJ sets en plein air et pintes au bord de l’eau : pas de doute, c’est le retour des beaux jours – et avec eux l’ivresse de l’Amour ! Oui, celui avec un grand A, j’ai nommé le fameux squat d’artistes de Bagnolet. Le 1er juin, c’est avec un événement Facebook en forme d’énigme – « I retro x (release party) lala&ce lauren auder nxxxxxs yeuz » – que l’ancien hangar de la petite couronne a rouvert ses portes au public après de longs mois d’hibernation.

Dans une ambiance lascive de fin de journée ensoleillée, une demi-douzaine de rappeurs et producteurs (ceux du titre de l’événement, là-haut) enchaînent les flows langoureux et les basses atmosphériques. À l’entrée, des tops colorés siglés d’un A anarchiste arrondi en cœur sont vendus pour quelques balles. Derrière le bar, les fûts coulent à flot. Comme si de rien n’était.

L'Amour le 1er juin 2017 © Maxime Retailleau
L’Amour le 1er juin 2017 © Maxime Retailleau

Pourtant, en décembre dernier, on annonçait la fermeture de ce lieu underground au nom si doux, occupé depuis fin 2014 par une dizaine de jeunes artistes, qui accueillait expos hebdomadaires, repas de quartier, brocantes et autres performances expérimentales bizarres. Après plusieurs mois de passion insouciante, les propriétaires des lieux – une société fantôme baptisée Actival International et qui fait son blé en spéculant sur les mètres carrés désaffectés – font tout pour mettre un terme à l’occupation. À l’hiver dernier, ils finissent par gagner. Pas de pétition qui tienne, les squatteurs sont sommés de faire leurs valises pour le 14 février 2017. Une Saint-Valentin bien sombre pour l’Amour.

Mais voilà qu’en ce début d’été, ils avouent :

Malgré les pressions des propriétaires, l’Amour obtient l’autorisation de se servir de leurs 300 m2 pour abriter une vingtaine de jeunes exilés pendant quatre mois de la trêve hivernale. Finies les expos et les activités de quartier, tout se fait dans le secret.

« Ce n’était pas facile parce qu’on n’a pas forcément les compétences ou le temps de bien les encadrer, nous raconte Céline Fantino, l’une des artistes occupantes. Mais on travaille avec l’association La Timmy, qui avait justement choisi des ados qui savent s’adapter à cette situation. Et finalement on a formé une belle famille. »

L’Amour le 1er juin 2017 © Maxime Retailleau
Lala Ace et Retro X à l’Amour le 1er juin 2017 © Maxime Retailleau

Début avril, les ados hébergés doivent quitter le havre de Bagnolet pour retourner à la rue pendant quelques semaines, jusqu’à trois mois pour certains, le temps d’être reconnus mineurs par le Juge des enfants. Ceux qui ne sont pas pris en charge sont parfois recueillis dans des « familles de potes », précise Fantino. Président du Collectif artistique associatif de l’Ourcq, fondateur de l’Amour (et de nombreux autres squats franciliens comme le Point G ou le Wonder), Alexandre Gain précise qu’ils continuent à aider les migrants à distance, « en récupérant pour eux des objets utiles dans une ressourcerie, comme des téléphones, entre autres ».

Désormais expulsables sans préavis, les Amoureux quittent peu à peu les lieux. Sur la dizaine d’occupants à l’origine, il n’en reste plus que deux ou trois. Chacun prend les devants pour retrouver un logement. « Pour l’instant on continue de faire vivre l’Amour autant qu’on peut. Dans la journée, le lieu sert toujours de studio de répétition pour des troupes de théâtre par exemple, mais c’est impossible d’organiser des expos ou des résidences d’artistes sur le long-terme parce que la police pourrait arriver du jour au lendemain. On ouvrira sûrement un autre lieu d’ici quelques mois », confie Alexandre.

Après une bonne centaine d’expositions, une quarantaine de pièces et performances, et près de 700 artistes de toutes disciplines mis en avant entre les hauts murs du hangar abandonné, le squat en a aujourd’hui bel et bien fini avec « l’art contentpourrien ».

Retro X à l’Amour le 1er juin 2017 © Maxime Retailleau
Retro X à l’Amour le 1er juin 2017 © Maxime Retailleau

L’Amour pourra-t-il fêter ses trois ans à l’hiver prochain ?

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Tandis que les magazines lifestyle ne savent plus où donner de la tête entre les dizaines de friches arty qui poussent sous le soleil, le squat bagnoletais prend le contre-pied de la tendance estivale. La saison qui s’ouvre annonce une série de fêtes à vocation caritative.

« L’objectif, maintenant, c’est de faire une soirée par semaine, avec des concerts, entrée à 3 euros, vente de bières et de t-shirts, pour récolter un max d’argent qu’on reverse ensuite entièrement à des assos d’aide aux migrants. »

Une fuite en avant résolument punk, une prise de position profondément politique mais sans militantisme outrancier ni misérabilisme tape-à-l’œil. S’ils font tout ça avec autant d’âme, c’est juste parce qu’il leur semble que c’est « la meilleure chose à faire ». Tout en discrétion, les squatteurs de l’Amour réinventent l’engagement citoyen avec la décontraction et le bon sens de la jeunesse. Comme si de rien n’était.

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Revivre la soirée du 1er juin ci-dessous

L’Amour le 1er juin 2017 © Maxime Retailleau
L’Amour le 1er juin 2017 © Maxime Retailleau

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