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Comment Internet archive notre déchetterie interne

Comment Internet archive notre déchetterie interne

Que restera-t-il de nous après notre mort ? Enfin, que restera-t-il de nous sur Internet après notre mort ? Question pressante, et beaucoup de personnes s’y sont déjà penchées :

Nos comptes publics passeront en mode « mémorial ». Les derniers à partir laisseront des messages éplorés sur les murs des premiers. Nos vies numériques publiques vont s’achever comme elles vont commencer en quelque sorte.

Mais nos vies très privées ? Nos secrets ? Nos hontes ? Quelles traces resteront derrière nous après notre trépas ?

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Extrait du site postsecretfrance.blogspot.com

Certains sites œuvrent pour archiver tout le reste. Pas les photos, pas les grands événements, pas les voyages, pas les diplômes, pas les déménagements. Plutôt nos disputes, nos ruptures, nos trahisons, nos bassesses, nos perversions. Miroirs inversés des réseaux, ces sites garantissent un anonymat absolu qui permet à chacun de se confier sans crainte.

Post Secret publie les cartes postales reçues du monde entier. Certaines sont maladroites, d’autres splendides, certaines basiques. Toutes ont un point commun : elles racontent les secrets des personnes qui les ont envoyées. Certains sont émouvants et mignons voire même drôles, mais le fait est que la plupart sont glauques. Pour beaucoup, Post Secret est l’ultime moyen de se soulager de l’inavouable : l’enfant issu d’une liaison extraconjugale, une MST, une mère que l’on déteste… On penche plus du coté « strip-tease » de la force que du courrier du cœur de Jeune et Jolie.

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Extrait du site postsecret.com
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Extrait du site postsecret.com

The Last Message Received nous emmène un peu plus loin dans la quête des squelettes dans les placards : ce blog tenu par une ado de 16 ans archive les derniers messages que l’on a reçus d’une personne : un ex, un ami avec qui on s’est brouillé, un proche décédé… Entre rupture douloureuse, derniers instants d’un cancéreux ou simple ghostage en règle, là encore on ne verse pas vraiment dans le léger et le joyeux.

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Extrait du site thelastmessagereceived.tumblr.com
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Extrait du site thelastmessagereceived.tumblr.com

Pourquoi ce besoin de s’épancher sur toutes ces épreuves sur Internet ? Ces deux sites sont nés aux États-Unis et je ne pense pas que ce soit un hasard : on connaît la propension des Anglo-Saxons à étaler leur vie privée aux yeux de tous, que ce soit dans les télé-réalités et les talk-shows, des formats qui certes, marchent aussi en France mais dans une moindre mesure. Est-ce que ces sites auraient aussi bien fonctionné en France ? Pas si sûr…

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Ensuite, ces sites peuvent exister car la temporalité sur Internet a changé. Dans ses premières années, Internet nous permettait surtout de commenter l’instantané : c’était un média jeune, fréquenté par des jeunes et des initiés où l’on se réunissait par communauté d’intérêt. Maintenant, nous sommes sur Internet depuis assez longtemps pour que des années de nos vies puissent y être conservées. Facebook l’a bien compris puisqu’il nous signale régulièrement que nous pouvons consulter nos « souvenirs », les posts que l’on a publiés cinq ou six ans auparavant : qui n’a pas eu un sentiment bizarre en revoyant les messages échangés avec un ex ou un membre de sa famille décédé depuis ? Nos vieux skyrocks sont aussi devenus des sortes de tombes de notre adolescence avec le temps. Cette tendance nostalgique d’Internet nous permet de conserver des archives de relations passées, qui nourrissent les sites comme The Last Message Received.

Enfin, ces sites ont probablement une fonction cathartique, aussi bien du côté du contributeur que du lecteur. D’une part, le contributeur peut se soulager d’une partie de son passé souvent bien lourde et éventuellement échanger avec des personnes aux expériences similaires. D’autre part, cela permet au lecteur de relativiser ses propres problèmes et de se rappeler qu’aucune relation et qu’aucune personne n’est parfaite, même si les apparences tendent à montrer le contraire.

Je pense que c’est pour ça que l’on ressent le besoin de traîner sur ce genre de sites : les réseaux sociaux sont devenus des lieux où l’on expose une version marketing et contrôlée de nous-mêmes. C’est l’endroit où l’on va jalouser la vie des autres et s’apitoyer sur son propre sort. Ces deux sites montrent l’envers du décor, les dernières choses que l’on veut encore cacher à l’heure où la plupart des expériences de vie sont publiques. Et ce sera sans doute aussi plus intéressant que le reste pour les historiens du futur qui feront des thèses sur la vie numérique des années 2010.

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