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L’Impératrice, « une certaine idée de l’élégance musicale »

L’Impératrice, « une certaine idée de l’élégance musicale »

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Dans l’adresse de sa page Facebook, elle clame : « Je.Suis.Impératrice », c’est presque violent se dit-on.

L’Impératrice s’en défend : elle sait se faire douce, mais doit tout de même tenir son rang ; puissante et charismatique en toutes circonstances, elle doit « en imposer, rester impérieuse ».
Aujourd’hui, la mise en avant d’une figure féminine dans la musique est une chose courante. De nombreuses chaînes Youtube de house/nu-disco présentent des demoiselles lascives en même temps que les morceaux qu’elles sélectionnent. Plus subtilement, Her, le projet gentiment rétro des dandys rennais Simon Carpentier et Victor Solf, mise lui aussi sur la mise en avant d’une entité féminine.

Soyons clairs, chez l’Impératrice, cela n’a rien à voir avec un quelconque plan marketing, la féminité s’est juste imposée comme l’évidence lors de la mise en image d’une « certaine idée de l’élégance musicale, marquée par la sensualité ».

L’Impératrice est donc une entité. Pour autant, les membres du groupe n’avancent pas masqués. Ils sont là, discrets, en retrait par rapport à sa majesté. Le groupe s’est constitué autour de Charles, puis s’est ouvert et comporte désormais six musiciens. Peu importe d’ailleurs, le groupe ne s’identifie même pas à ses membres. Comme les musiciens, la chanteuse, Flore, n’est pas l’Impératrice.

D’ailleurs, si jusqu’à présent ses clips mettaient régulièrement en scène une femme, presque seule, son dernier clip Vanille Fraise s’en écarte ; on n’y retrouve pas l’incarnation féminine. C’est que l’edit de quatre minutes, entièrement composé autour de boucles disco d’Anita Ward et de Ian Pooley, ne reflète pas réellement l’ensemble des compositions de l’Impératrice.

Quel est l’avenir de l’Impératrice ?

« L’entité va se développer, c’est certain. Quant à savoir dans quel sens, tout est possible. Ce pourrait bien être n’importe quoi, une plante ou une table en hêtre… »

Le Pacifique, les tropiques, la Lune… Où s’arrête l’empire de l’Impératrice ?

« J’ai vu une vidéo scientifique sur Facebook il y a quelques jours, d’abord il y avait la Terre, la Lune, le système solaire puis notre galaxie. Le rayon de l’univers est de plusieurs milliards d’années-lumière, je pense que son empire s’arrête un peu après. »

C’est que pour Charles, le projet n’a pas de limites. D’abord principal compositeur sur le premier EP L’Impératrice, il a ouvert le groupe. Sur le second EP Sonate Pacifique, et aujourd’hui avec Odyssée, chacun des membres compose, réarrange, apporte ses idées. L’ouverture des frontières impériales va jusqu’à permettre la collaboration avec d’autres artistes. Sur Sonate Pacifique, on retrouve par exemple le chanteur d’Isaac Delusion, lui aussi sur le label Microqlima.

Musicalement, l’Impératrice mêle les influences. Le côté cinématographique emprunté aux BO de François de Roubaix traduit une envie, celle de raconter des histoires, de partager un univers en livrant sa bande originale. En live pourtant, le visuel est imposé au public et la place laissée à l’imaginaire est réduite. Alors, c’est la recherche du groove qui domine. L’Impératrice puise ainsi dans la french touch. Elle revendique son affection pour Nicolas Godin, membre de Air, mais aussi Cerrone, le père français de la disco que l’Impératrice a eu l’occasion de remixer il y a maintenant un an.

Pour clore l’entretien, nous revenons à des sujets plus terre à terre. L’Impératrice est aujourd’hui en lice parmi les dix finalistes du prix Deezer Adami. Alors qu’on considère que Spotify rémunère environ 7 500 € un million d’écoutes, nous avons donc demandé au groupe son avis sur l’industrie du streaming.

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Antoine, leur manager, nous donne quelques chiffres pour préciser les choses. « Sur France Inter, lorsqu’un morceau passe, il est entendu par en moyenne quatre millions d’auditeurs, l’artiste gagne alors 150 € de SACEM. » On pourrait se dire que ce n’est pas comparable, après tout, Radio France fait un travail de prescription et fait découvrir de la musique, tandis que le service de streaming recherche le profit.

Cependant, pour Charles, aucun doute, le streaming est une technologie fondamentalement disruptive : désormais, l’auditeur a potentiellement accès à toute la musique en un clic et peut se faire sa propre opinion, sans forcément passer par le journaliste. De nombreux artistes sont ainsi plébiscités par le public et inconnus des médias, c’est le cas d’au moins deux d’entre eux dans la sélection du prix Deezer : MHD et Petit Biscuit.

Hagni est un peu plus sceptique et remarque que la donne est faussée, notamment en raison de l’absence manifeste de la musique classique sur la plupart des plates-formes de streaming, mais aussi de la présence des algorithmes qui mettent en avant des musiques dites « commerciales ».

La discussion dérive peu à peu. On ne s’accordera finalement pas à dire que l’industrie du streaming est bonne ou fondamentalement mauvaise. Avec malice, Flore nous rappelle que Vulfpeck a réussi à financer sa tournée en « hackant » Spotify. Le jeune groupe de funk californien a tout simplement enregistré dix pistes de silence et demandé à ses fans de les écouter la nuit, en boucle. L’album de détournement intitulé Sleepify leur avait alors rapporté un joli pactole.

– Un peu comme John Cage, et ses quatre minutes trente-trois secondes de silence ?

– Ouais, sauf qu’il le faisait pour l’art, pas pour l’argent.

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