Lecture en cours
Fatima Al Qadiri, l’Asie imaginée

Fatima Al Qadiri, l’Asie imaginée

J’ai découvert Fatima Al Qadiri le titre Shanghai Freeway, au détour d’un dj set de Cashmere Cat pour le MoMA PS1’s Warm Up 2014, une série de concert qui prend place chaque été au Musée d’Art Moderne new yorkais (ce set est disponible à l’écoute par ici). Shanghai Freeway donc, extrait d’Asiatisch, nous plonge dès les premières notes dans un extrême-orient théâtralisé, grave, qui ethnocentrés que nous sommes, nous paraît être celui de la Chine médiévale du Détective Dee.

[soundcloud url= »https://api.soundcloud.com/tracks/146916781″ params= »auto_play=false&hide_related=false&show_comments=true&show_user=true&show_reposts=false&visual=true » width= »100% » height= »450″ iframe= »true » /]

Fatima Al Qadiri – Shanghai Freeway

Oui, Asiatisch est une invitation à découvrir une « Chine imaginée ». En effet, si l’album s’ouvre sur Shanzhai, réinterprétation par Helen Feng du Nothing Compares 2 U de Sinéad O’Connor, Fatima Al Qadiri ne s’est en réalité jamais rendue en Chine, et l’album concept est né à l’issue d’une rencontre entre la musicienne et le collectif d’artistes Shanzhai Biennial au MoMa PS1. Aussi, il ne décrit pas la Chine telle qu’elle est, mais seulement telle qu’elle peut être perçue depuis le prisme du monde occidental.

C’est ce qu’expliquait Fatima Al Qadiri au magazine Pitchfork dans une interview de Mars 2014 : « One track on the album is called “Szechuan”, which is the colonial spelling [of the region of China]. The current non-colonial version of it is “Sichuan.” I spelled it the colonial way because that’s how it appears in Chinese restaurants across the world. And it’s my Chinese-restaurant track. »

Ainsi, non contente d’allier beats hip-hop, grime, r’n’b et sonorités orientales, Asiantisch est une œuvre ultra-référencée, nourrie des créations occidentales qui l’ont précédées dans la représentation de l’extrême orient, mais qui par la revendication de sa dimension imaginaire évite de tomber dans le stéréotype. On y retrouve par exemple un détournement des paroles « indubitablement racistes » de La Chanson Des Siamois extraite du film La Belle et le Clochard sur Dragon Tatoo, ou encore des références au poème traditionnel chinois “Peach Tree Tender” et au Wu-Tang Clan sur Wudang.

[soundcloud url= »https://api.soundcloud.com/tracks/61918935″ params= »auto_play=false&hide_related=false&show_comments=true&show_user=true&show_reposts=false&visual=true » width= »100% » height= »450″ iframe= »true » /]

Fatima Al Qadiri – Ghost Raid (Desert Strike EP)

Cependant, le travail de Fatima ne se limite pas à la description d’une Asie fantasmée, et son œuvre, radicale, pourrait presque être qualifiée de totale. Effectivement, forte de ses activités de photographe, de journaliste pour DIS Magazine, ainsi que de sa collaboration avec Shanzhai Biennial, Fatima Al Qadiri croise les disciplines artistiques, musique, mode, art contemporain. Mais surtout, sa musique comporte une véritable portée symbolique, presque métaphysique, emmenée par des choeurs puissants que n’aurait pas reniés Wagner.

Native du Sénégal, mais élevée au Koweit, à 9 ans, elle vit l’invasion du pays, précédent la première guerre du Golfe. Cloitrée chez elle avec sa sœur pendant sept mois, elle apprend le piano, alors que son père est retenu otage en Irak.

Les coups de feu qui viennent agrémenter les rythmes saccadés et soutenus d’un grime martial sur son maxi Desert Strike, publié en 2012, sont des réminiscences de cette période qui la hante, depuis ce jour d’août 1990 où elle a entendu pour la première fois le nom de Saddam Hussein.


Fatima Al Qadiri – Vatican Vibes

C’est d’ailleurs à partir de ce moment qu’elle commence à s’intéresser aux jeux-vidéo. D’abord moyens de fuir une réalité brutale, les mondes virtuels sont aujourd’hui pleinement intégrés dans ses clips, qui font appel à l’esthétique et aux codes vidéo-ludiques, à l’image de celui de Vatican Vibes, sorte de bande-annonce, « trailer » science-fictionnel.

Et si le collectif Future Brown qu’elle forme aux côtés d’ Asma Maroof, Jamie Imanian-Friedman et Daniel Pineda ne revendique pas explicitement une « musique de club futuriste », affirmant avant tout travailler pour la mise en avant des MC’s avec lesquels ils collaborent. On remarquera que le nom « Future Brown », dont l’idée vient de DIS Magazine, et est décrit comme « un fond de teint universel, pour toutes personnes, de tous types de couleurs », est la marque de cette esthétique futuriste à la croisée de l’art, de la musique, mais aussi du marketing et du branding.

 

[soundcloud url= »https://api.soundcloud.com/tracks/185037448″ params= »auto_play=false&hide_related=false&show_comments=true&show_user=true&show_reposts=false&visual=true » width= »100% » height= »450″ iframe= »true » /]

Future Brown – Room 302 Feat. Tink

Pour plus de voyages, notez aussi qu’il y a 4 ans, Fatima Al Qadiri officiait sous le nom d’Ayshay, et créait a partir de samples de prières Chiites, mais aussi Sunnites, vous pouvez en retrouver des extraits dans son mix, Muslim Trance.

© 2022 Manifesto XXI. Tous droits réservés.