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Macron, Beach Boys et western asiatique : entretien avec Poni Hoax

Macron, Beach Boys et western asiatique : entretien avec Poni Hoax

À l’occasion de la sortie de Tropical Suite, un brillant quatrième album à paraître en février chez Pan European Recording, on a été papoter avec Laurent Bardainne (compositeur et claviériste) et Nicolas Villebrun (guitariste), 2/5 de la maudite troupe de Poni Hoax.

Manifesto XXI – Parlez-nous un peu de ce voyage d’inspiration sous les tropiques. Avez-vous trouvé celles que vous recherchiez ?

Laurent Bardainne : Pour ma part, oui. C’est un débat qu’on avait eu au sein du groupe, on n’était pas tous d’accord sur le fait de savoir si on allait faire la même chose à Pigalle qu’aux quatre coins du monde. Mais ça change forcément, on ne peut pas faire la même chose si on change de géographie. Quand tu te retrouves en Thaïlande, qu’il fait beau et chaud, tu ne vas pas du tout interpréter la chanson de la même façon. C’est d’ailleurs pour ça qu’on a fait trois versions d’un même morceau, « Tropical Suite », un pour chaque étape. On l’interprétait différemment selon les paramètres de chaque pays.

Nicolas Villebrun : Tout change en fonction de la météo. En fait, c’est un album météorologique !

Comment s’est ressenti le besoin de faire ce périple « loin de votre histoire » pour produire Tropical Suite ? Qu’est-ce que vous fuyiez ?

Laurent : Justement, principalement la météo ! Après, c’était aussi un fantasme. J’avais repéré un studio en Thaïlande, le Karma Sound Studio, et c’est devenu comme un rêve d’y aller. Donc je me suis dit que ce serait quand même bien de faire ça au moins une fois dans la vie de Poni Hoax. L’idée est venue à partir de là, et grâce à Red Bull qui nous a prêté des studios gratuitement, et à agnès b. qui a co-produit l’album, on a réussi à faire ce grand voyage.

En partant, aviez-vous une idée précise de la forme ou de la trame de l’album que vous vouliez composer ?

Laurent : Ça, c’était plutôt dans la tête du chanteur, qui avait envie de parler du côté hyper sombre des faubourgs de Bangkok, de la prostitution, de la misère des favelas… Après, il a adapté tout ça à ses textes. Mais nous, les musiciens, on est surtout partis pour se retrouver entre nous, pour enregistrer et trouver un alibi assez excitant.

Nicolas : Après, je pense que ça n’arrive jamais de se dire « ça va ressembler à ça » ; si tu as déjà une idée précise de ce que tu veux enregistrer, autant ne pas l’enregistrer, en fait.

Laurent : On met n’importe quel artiste au défi de produire un disque qui ressemble exactement à ce qu’il avait prévu.

Nicolas : Ou alors, il faut être le mec des Beach Boys, à moitié autiste et complètement schizo. Il avait tout écrit dans sa tête. Pour Pet Sounds, le moindre son, la moindre note étaient déjà là, il n’avait plus qu’à les réaliser avec des musiciens en studio. Finalement, l’intérêt du voyage était là aussi, de ne pas être trop calés sur ce qu’on devait faire pour nous laisser de la liberté dans ce qu’on allait produire sur place.

Quels ont été les « accidents » de ce voyage, les inattendus, les rencontres les plus marquantes qui ont nourri ce disque ?

Laurent : Nicolas et moi, on n’en a pas eu personnellement. Après, on ne te cache pas que le chanteur a du mal à prendre les avions, on peut dire ça comme ça. Mais pour une fois, alors qu’il nous arrive toujours plein de trucs, on n’a pas eu de grosses galères, même pas crevé un pneu ! Mais on avait quand même la trouille parce qu’on partait en auto-production, donc si on avait eu une galère, ça aurait tout fait foiré.

Concernant les collaborations qui figurent sur l’album, de quelle façon ont-elles été amenées ?

Nicolas : C’était assez spontané, en fonction de ce qui allait se passer sur place. Par exemple, lors du premier voyage au Cap, on est allés manger dans un resto où il y avait un groupe de balafonistes qui jouait. Vincent (le batteur) s’est mis à jouer avec eux et le lendemain, on les a invités en studio.

Laurent : J’avais aussi une copine chanteuse thaïlandaise, Rasmee Wayrana, et là c’était le vrai featuring prévu avant de partir.

Les conditions d’enregistrement étaient donc assez particulières, comment s’est déroulée toute la production ?

Laurent : Au départ, je voulais qu’on aille enregistrer au Cambodge, car Nicolas Ker en est originaire ; mais après toutes mes recherches, je me suis rendu compte qu’il n’y avait simplement pas de studio là-bas. Donc ça ne s’est pas fait pour ces raisons-là, mais à la base on avait prévu d’aller faire une étape à Phnom Penh. Sinon, c’est Red Bull qui nous a gracieusement prêté les studios en Afrique, en Thaïlande et au Brésil. Après, avec Nicolas on avait déjà écrit les morceaux ici, on avait les paroles qui formaient déjà un petit squelette. Mais le plus gros, toute la musique, on l’a créée là-bas.

Quelle sera la destination pour composer votre prochain album ?

La Picardie ! Ou sinon Vincent (ndlr : batteur du groupe) adore la baie de Somme, surtout à marée montante.

© Agnès Dherbeys

A State of War (2013) était un album habité par la violence, il abordait des thématiques assez graves. Tropical Suite semble poursuivre ce cheminement sombre, oppressant (« The Gun », « Who Are You ») et spleenétique (« The Music Never Dies »), avec tout de même quelques ruptures beaucoup plus pop (« The Wild », « Lights Out »). Finalement, quel est l’état d’esprit de cet album ?

Laurent : Avant tout, il raconte notre voyage sous les tropiques. C’est vrai que les textes de Nico restent quand même complètement dark, mais c’est parce qu’il a vachement de mal à dire autre chose que ce qu’il voit, et il a raison. Il y a la famille de gens qui font des chansons pour combattre la morosité, mais nous on n’y arrive pas, donc on fait de la musique sur ce qu’on voit, et ce n’était vraiment pas tout rose là-bas.

Qu’est-ce qui vous a marqués ?

Laurent : La continuité de l’apartheid en Afrique du Sud, et le fait que ça ait été une dictature et que ça n’ait pas résolu les problèmes pour autant. Au Brésil, le pays est certes en pleine croissance, mais il reste énormément de misère. La Thaïlande est l’aire de jeu de tous les Occidentaux mais ce n’est pas tout rose non plus.

Nicolas : Mais on reste foncièrement optimistes, il faut remarquer que l’album finit quand même en fanfare !

Justement, il y a dans cet album des morceaux un peu plus orchestraux avec la présence de cuivres, une mise en valeur du chanteur par de magnifiques solos, mais aussi des morceaux totalement instrumentaux, ce que vous ne faisiez pas ou très peu jusque-là. On ressent une plus grande liberté de composition.

Nicolas : Complètement, on était un peu comme dans la chanson de La Reine des neiges : libérés, délivrés ! Plus sérieusement, c’est vrai qu’on avait moins de pression que sur l’album précédent, ce voyage nous a remis une dose de liberté.

Laurent : C’est exactement ça, la liberté. On s’est dit « merde, on fait un album de rock, on n’est pas obligés de mettre du chant tout le temps », et Nicolas était d’ailleurs le premier d’accord avec ça. Ça fait du bien aussi de se dire qu’on fait un album qui n’est pas formaté, on n’a pas cherché à faire un tube en particulier. Et puis, ouais, j’ai ressorti mon saxo !

Est-ce que cela veut dire qu’auparavant vous vous mettiez des limites dans votre création musicale ?

Nicolas : Oui. Le deuxième album, on l’a fait assez sereinement, mais le fait qu’il ait eu du succès, qu’on ait rempli un Élysée Montmartre, ça a fait que pour le suivant on a eu beaucoup plus de pression.

Laurent : Sur Tropical Suite on s’est lâchés, il y a des instrumentaux, des effets électroniques, on a fait les choses qu’on aime. Sur A State of War, on avait de la pression parce qu’on se disait qu’il fallait à tout prix que ça marche. Sur celui-là, on s’en fout, en fait.

Tropical Suite est donc la bande-son de ce voyage, mais vous avez aussi été accompagnés par Agnès Dherbeys (ndlr : photographe talentueuse, et aussi compagne de Laurent) pour produire sa bande-image. Le film raconte-t-il la même histoire que l’album ?

Laurent : Le film raconte l’histoire de l’album mais avec son œil à elle, donc c’est autre chose. Même si elle nous accompagnait sur ce voyage, on n’a pas vécu la même chose. Et j’annonce : il y aura des choses très drôles dans ce film.

Comment cette idée d’œuvre double, d’accompagner l’album par un documentaire, est-elle venue ?

Laurent : Je me suis dit que ce serait quand même con, après m’être cassé le cul à organiser ce voyage pendant un an, de ne pas avoir d’images. J’en ai donc parlé autour de moi et naturellement, c’est Agnès qui s’est penchée dessus et qui a trouvé une boîte de production, mais ouais, sinon ça aurait été vraiment débile de faire le tour du monde et de ne pas en avoir de souvenirs.

D’ailleurs, l’album est décrit dans sa biographie comme « un western tropical », « cinématographique ». De quelle façon faites-vous le lien entre votre musique et le cinéma ?

Laurent : C’est vrai que « All The Girls » fait un peu western asiatique, ça peut rappeler Les Larmes du tigre noir (Wisit Sasanatieng, 2000), qui est un western thaïlandais complètement surréaliste et qui a pu influencer l’écriture de ce morceau. Pour le reste, on n’a pas forcément fait de liens avec le cinéma.

Nicolas : Et finalement, un voyage c’est comme un film, c’est plein d’images et ça raconte beaucoup de choses. Mais on n’a pas vraiment de références cinématographiques.

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Ça ne vous brancherait pas de produire la bande originale d’un film, du coup ?

Laurent : Si, bien sûr, mais c’est différent. Et puis au final on l’a déjà fait, avec le film d’Agnès !

Nicolas : Mais sinon, il y a pas mal de films qui ont utilisé des morceaux de Poni pour leur B.O. (Jeune et Jolie, Radiostars…).

Quelles sont vos attentes pour cet album, concernant sa réception notamment ?

Laurent : Tu sais, quand tu sors un quatrième album, les attentes ne sont pas les mêmes que pour ton premier. Là, on est plutôt cool en fait. À la fois cool dans le sens de contents, mais aussi parce qu’on est sereins.

Nicolas : Et puis on n’a pas fait ce disque en pensant aux gens. Après, on espère qu’ils vont bien aimer parce que c’est toujours décevant que ce ne soit pas le cas.

Vous démarrez une petite tournée en France dès le mois prochain. Avez-vous prévu de retourner et de vous produire sur les scènes des pays qui vous ont inspiré cet album ?

Laurent : Oui, mais ce sera l’étape bis. Pour la tournée française, pour le moment on n’a que neuf dates de prévues, mais ça va se lancer après la sortie de l’album.

Est-ce que cette expérience de voyage, et l’introduction de nouveaux éléments instrumentaux, ont changé votre conception de la scène ?

Laurent : Pas forcément. Mais ça va être moins fatigant parce qu’on est plus vieux qu’avant, donc on ne va pas se taper douze heures de camion. On a déjà fait Paris-Marseille/Marseille-Paris, et même s’il y a des lecteurs DVD dans le camion, c’est épuisant. Là, ce sera plus soft.

À quoi faut-il s’attendre pour votre live ?

Nicolas : Il y aura tous les nouveaux morceaux de l’album, là on va bosser ça en résidence. Et on sera tous déguisés en pandas.

Pendant cette tournée, différents groupes français émergents vont assurer vos premières parties (Kid Wise, Winter Family, Alphabet…). En tant que groupe emblématique et définitivement inscrit dans le paysage pop-rock français, quel regard portez-vous sur ce renouveau ?

Laurent : Pour le coup, on ne peut pas te répondre parce qu’on ne les connaît pas, en fait… Mais c’est le moment de les découvrir ! (se lève et lance Kid Wise sur Deezer)

Sur quelles jeunes pousses pariez-vous en 2017 ?

Nicolas : Il y a un super groupe qui s’appelle En Marche avec Macron, il est assez chaud, il faut suivre ça de près.

Retrouvez Tropical Suite le 3 février chez Pan European Recording.

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