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Camille Claudel : à l’ombre des génies

Camille Claudel : à l’ombre des génies

Aujourd’hui, vous connaissez certainement son nom. Pourtant, elle a longtemps été oubliée au profit de son frère, le célèbre écrivain et académicien Paul Claudel, et de son amant, le grand sculpteur Auguste Rodin, jusqu’à finir sa vie seule à l’asile. Histoire d’une réhabilitation.

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Camille Claudel avant 1883

 

Des débuts prometteurs

Née en 1864, Camille Claudel n’est encore qu’une adolescente lorsqu’elle se prend de passion pour la sculpture. Elle apparaît rapidement à ses maîtres comme un petit prodige, malgré le mépris que sa mère témoigne envers cet art. De quatre ans l’aînée de son frère Paul, elle représente celui-ci dans la pierre à seulement 16 ans. Leur relation est alors forte, autant que peut l’être celle qui unit un frère à sa sœur : elle discerne déjà en lui l’écrivain qu’il sera plus tard. Rien alors ne peut laisser présager le sort tragique qui les séparera.

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Paul Claudel à treize ans

Dès 1881, Camille parvient à convaincre sa famille de déménager à Paris afin d’y poursuivre son art auprès des plus grands : Alfred Boucher, puis Auguste Rodin, de vingt-quatre ans son aîné, maître puis amant, qui perçoit en elle un talent extraordinaire.

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Camille Claudel dans l’atelier de Rodin, sculptant Sakountala vers 1886

 

A la même époque, son frère Paul commence à publier des œuvres telles que les premières versions de L’Endormie et Tête d’or. C’est une période fructueuse pour Camille, qui apprend beaucoup au côté de Rodin, mais qui est tout à la fois frustrée d’exercer son art au profit des sculptures du maître et aux dépens des siennes. Celui-ci, de surcroît, se refuse à quitter sa compagne Rose Beuret, poussant peu à peu Camille à tenter de s’affranchir de l’emprise qu’il a sur elle, notamment en expérimentant de nouvelles formes de sculptures et en affirmant son propre style.

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La Valse

 

Descente aux enfers

Mais cette relation tumultueuse ne peut durer éternellement : Camille quitte l’atelier de Rodin en 1892, cette rupture la laissant malade, sujette à la paranoïa.

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L’Âge mûr, souvent vu comme symbole de la rupture entre Camille et Rodin

 

Son style évolue alors, tandis qu’elle délaisse le nu au profit de drapés subtils, et elle confie à son frère dans une lettre «J’ai beaucoup d’idées nouvelles ». Michel Ellenberger dit à son sujet qu’elle « s’attarde au moment qui s’échappe, au frôlement de l’air qui passe, et elle en fait sentir toute la densité ». Malgré une production très abondante durant cette période, qui suscite l’admiration de divers critiques comme Octave Mirbeau, Camille souffre de sa solitude et de troubles mentaux de plus en plus fréquents : elle croit que la « bande à Rodin » lui vole son art. De plus, le fait qu’elle utilise le nu dans ses œuvres alors qu’elle est une femme apparaît comme choquant, la privant d’une reconnaissance pourtant méritée.

En 1913, son père, qui l’avait toujours soutenue, meurt : à peine une semaine après, son frère Paul décide de la faire interner à l’asile de Ville-Evrard et de limiter ses contacts avec sa famille. Les docteurs estiment alors qu’elle souffre de « délire systématisé de persécution basé principalement sur des interprétations et des fabulations ». Durant la Première Guerre mondiale, elle est transférée à l’hôpital de Montfavet, où les conditions d’internement sont extrêmement difficiles et où les visites sont rares : elle ne reverra pas sa mère. Quant à Paul, il ne vient la voir qu’à douze reprises. Les nombreuses lettres déchirantes qu’elle envoie à sa famille sont sans réponse, si ce n’est quelques colis de nourriture et autres affaires.

« Du côté de ma famille, il n’y a rien à faire : sous l’influence de mauvaises personnes, ma mère, mon frère et ma sœur n’écoutent que les calomnies dont on m’a couverte. » Lettre de Camille Claudel au docteur Michaux, 25 février 1917

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Camille Claudel à 65 ans

 

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Camille Claudel sera internée trente ans, et mourra de malnutrition en 1943. Elle est enterrée dans une fosse commune ; Paul Claudel est quant à lui au sommet de sa gloire, et entre à l’Académie française en 1946. Il est « amusant » de constater que sur la page Wikipédia de ce dernier, le nom de sa sœur est à peine mentionné.

« On donne ici pour moi 150 F par mois, et il faut voir comme je suis traitée, mes parents ne s’occupent pas de moi et ne répondent à mes plaintes que par le mutisme le plus complet, ainsi on fait de moi ce qu’on veut. C’est affreux d’être abandonnée de cette façon, je ne puis résister au chagrin qui m’accable. »

Camille réhabilitée

Si elle a été oubliée de son vivant même, comment Camille Claudel a-t-elle pu devenir aussi célèbre aujourd’hui ?

Il faut remercier pour cela Anne Delbée qui, en 1981, publie la biographie Une femme, Camille Claudel, puis à l’intérêt que lui porte Reine-Marie Paris, sa petite-nièce elle-même. La consécration vient en 1989 avec le film de Bruno Nuytten Camille Claudel, dans lequel Isabelle Adjani tient le rôle-titre et Gérard Depardieu celui de Rodin. Reconnue par la critique, Camille se voit attribuer une salle propre au sein du Musée Rodin, et un musée Camille Claudel devrait ouvrir prochainement à Nogent-sur-Seine.

Enfin la lumière qu’elle mérite, après avoir vécu toute sa vie à l’ombre des génies.

Clémence Rombauts

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