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Pour en finir définitivement avec Hans Zimmer

Pour en finir définitivement avec Hans Zimmer

Qu’est-ce qui fait une bande originale notable au cinéma ? Il n’est pas ici question de musique de comédie musicale, ni de bande-son, mais de la pure création musicale, composée pour un film donné et accompagnant celui-ci. Question corollaire : desquelles nous souvenons-nous ? Quand nous nous tournons vers nos mémoires juvéniles, à peine expérimentées, en ressortent les classiques, c’est-à-dire les violons de Psychose, ceux des Dents de la mer, le thème de Star Wars, celui d’Harry Potter, la musique d’Inception.

La conception commune de la bande originale d’aujourd’hui serait dans nos esprits celle de cuivres majestueux, de violons nombreux surtout, de chœurs donnant au spectateur l’envie de pleurer, de mourir, les deux peut-être, débordé par ce trop-plein symphonique.

Le problème est celui-ci : la musique épique s’est imposée comme la seule musique de film démocratisée indépendamment du film, en témoigne le nombre vertigineux d’écoutes, tous médias confondus, des titres des compositeurs les plus populaires aujourd’hui – John Williams, Alexandre Desplat, Hans Zimmer, Danny Elfman et autres.

La plupart des œuvres semblent se fondre en un modèle, les compositeurs se confondre – et il est dommage que toute étincelle de tension dramatique soit à chaque fois soutenue, dans les productions grand public actuelles, par la musique façon Pirates des Caraïbes. Toute grosse production qui se respecte devra inclure son lot de musique de bande-annonce, larmoyante, tonitruante, au fond bien plate, rapidement lassante.

Certes la composition originale est au service du film et le soutient ; la musique se subordonne à l’histoire, et s’adresse autant au conscient qu’à l’inconscient (visionner tout film d’horreur sans le moindre son le rend risible).

Une douche, des violons, et Herrmann transforma la musique de film
Une douche, des violons, et Herrmann transforma la musique de film

La musique donnera à la scène une teinte, que notre cerveau accepte sans forcément faire l’effort de rendre l’effort perceptible – nous acceptons ce qui nous est présenté, son et image liés. Elle en est destinée à devenir plus utile que belle, du moins pour une impression directe et première, et des clichés musicaux se sont, assez logiquement, largement répandus. Se poser la question de l’intérêt de se démarquer et créer quand l’on s’adresse à un inconscient primitif n’est même pas légitime.

Le problème est que la bande originale de films populaires modernes, donc les plus représentés médiatiquement, fut reléguée à ce modèle très particulier : gros violons, gros cors, pour de grosses larmes.

Et cette musique fonctionne encore à défaut de surprendre, parce que l’homme est faible, que des génies l’ayant bien compris ont découvert comment l’émouvoir à moindre frais – donc le faire payer.

Ce qui est contre-ambitieux, et disons-le, artistiquement inacceptable, comme l’éternelle variation autour d’une figure imposée, à l’encontre de la création musicale réelle. Le spectateur a une responsabilité, celle de prendre conscience qu’une bande originale peut surprendre, dérouter, exister en tant que telle, plutôt que d’imposer à l’infini le schéma violons tristes / scène triste, cuivres ascendants / scène pleine d’espoir, piano pensif / héros introspectif.

La bromance de Nino Rota et Federico Fellini
La bromance de Nino Rota et Federico Fellini

Parce que la bande originale telle qu’elle est répandue et écoutée aujourd’hui n’a naturellement pas toujours existé. La question fut longtemps de savoir si le film devait illustrer directement l’image.

Une des premières bandes originales de l’histoire du cinéma fut composée par Saint-Saëns pour L’Assassinat du duc de Guise, 1908. Auparavant des morceaux antérieurs étaient recomposés, mis bout à bout pour l’occasion et réarrangés. Dans les années 1920, Erik Satie, Arthur Honegger, Darius Milhaud, créateurs de « musique savante » donc, écrivent pour l’écran comme ils composent traditionnellement.

Gottfried Huppertz, quand il voudra s’attaquer aux cinq heures du diptyque des Nibelungen de Fritz Lang (il composera en 1927 la partition de Metropolis), ne peut que ressentir l’influence du grand Wagner, qui faisait peser sur toute sa descendance musicale L’Anneau du Nibelung, sa gigantesque fresque légendaire de quatre opéras composée sur vingt-cinq ans.

Il compose malgré tout une partition originale, pourtant remplacée durant les projections françaises et américaines par des thèmes de l’opéra de Wagner ; Lang, qui vouait une profonde aversion à celui-ci, ne jurait pour son film que par Huppertz, ne s’étant inspiré au détriment de la Tétralogie romantique que de la légende germano-nordique – ce sera la première bande originale commercialisée de l’histoire.

Le cinéma devient parlant en 1927, les années 1930 apportent le classicisme hollywoodien et ses compositeurs héritiers du romantisme de Wagner toujours, Brahms et Strauss. Max Steiner (King Kong), Franz Waxman (La Fiancée de Frankenstein), Erich Wolfgang Korngold (Les Aventures de Robin des Bois), souvent fuyant le nazisme, arrivent à Hollywood fort de leur héritage romantique et fixent l’utilisation du leitmotiv et du développement de ses échos.

Ennio Morricone & Sergio Leone
Ennio Morricone et Sergio Leone

L’écriture de la musique devient thématique. La musique d’après-guerre se modernise et tend à s’élargir à l’instar des genres qu’elle tient à porter – elle se déconstruit, davantage atonale, moins évidente. La musique se fait plus ciblée, et les influences se rénovent entre Stravinsky, Bartók et Schönberg. À partir de 1950, les genres musicaux de la bande originale s’ouvrent : le jazz de Bernstein, d’Alex North, et ensuite le rock, la pop, la funk blaxploitation, la disco, le hip-hop, l’électro. La bande originale suit les tendances musicales et pousse le champ des expérimentations dans l’harmonie avec l’image.

Le film catastrophe explose dans les années 1975 (La Tour Infernale), et avec l’aide de nouvelles technologies fait réapparaître les grandes envolées symphoniques – l’année 1977 marque le premier épisode de Star Wars, la mélodie impeccable de John Williams, et la bande originale qui ne s’en remettra définitivement pas.

La musique symphonique de cinéma va se décliner à l’infini, les techniques numériques vont amplifier les saillies épiques, autant qu’elles vont normaliser les scènes de « plat », à grands coups de langueurs électronico-symphoniques paresseuses – temps morts qui n’existaient pas dans l’idéal romantique ou moderne. Il y eut Le Seigneur des Anneaux, Harry Potter, John Williams en général, qui firent honneur au genre, mais ces exemples sont loin d’être le lieu commun.

John Williams
John Williams

Essayez de comparer la partition du Ben-Hur de 1959 par Miklós Rózsa, avec celle de la version 2016 par Marco Beltrami. Le sujet est le même, il manque seulement à l’une d’entre elles richesse et sensibilité.

Là est le problème, et c’est prendre le public que l’on veut voir venir en masse pour imbécile. Appréciez maintenant la qualité des deux films, leur succès – cela passe aussi par l’effort, l’exigence portés à la musique. Le Ben-Hur de Wyler est encore un monument de cinéma, le pâle opposant de 2016 est déjà oublié, et le hasard n’y est pour rien. Le propos ici est de sortir de la cacophonie, symphonique et lourde, du film du dimanche soir. Le monde mérite une superproduction moderne avec la musique de Twin Peaks.


Hans Zimmer me fait l’effet d’un paradoxe vivant. Il incarne la simplification abusive du genre, autant qu’il semble seulement sans y toucher la provoquer chez ses imitateurs (parce qu’il en a beaucoup), quand il se décide à utiliser au mieux son cerveau germanique. L’homme a habillé Gladiator, Le Prince d’Égypte, Le Roi Lion, La Ligne rouge. Sherlock Holmes a laissé enthousiaste.

Mais quand il ne fait pas l’effort semble se parodier lui-même. La bande originale d’Anges et Démons part dans tous les sens, est musicalement éprouvante – « 160 BPM », un déchaînement kitsch, frénésie lyrique en mesure 7/8, mais qui d’autre pour le faire avec cette intensité ? La partition de Rush était un mélange étrange de percussions épiques, de guitares bâtardes et de violons assez peu subtils. À partir d’Inception, la musique est devenue plus froide, électrique, encore plus séquencée – « Time » oui, mais le reste ?

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Je ne déteste pas Hans Zimmer. C’est parce que je l’aime trop, comme tout le monde, que je tente juste de répondre à la question « génie ou imposture ». L’idée, le projet Hans Zimmer fonctionne, parce que c’est gros comme une maison. Le Zimmer moderne finalement, c’est un peu comme le porno, dans tout les cas on sait à quoi s’attendre, ça va droit au but, des fois ça écœure.

Hans ZImmer : the dream is collapsing
Hans Zimmer : the dream is collapsing (Inception)

Les pièces du dernier Batman, sombres, rythmées, font peur et impressionnent : « Fear Will Find You » est peut-être l’exemple parfait – la machine rythmique, les ostinatos pour maintenir la tension, les montées de violon, les violoncelles graves comme jamais, les cors épiques. Mais est-ce que notre propension à nous lasser n’est pas alors décuplée devant cette débauche d’énergie désireuse de nous faire sentir écrasés, alors que les enjeux narratifs peuvent parfois être, tout au plus, fragiles ? Interstellar pourtant fut une cathédrale, d’une hauteur et d’une majesté rares, qui dévoila une ambition rarement égalée dans la création musicale de cinéma.

Récemment, Zimmer indiquait ne plus vouloir faire dans le film de super-héros – peut-être une bonne nouvelle pour sa liberté créatrice : « What Are You Going To Do When You Are Not Saving The World? » du Man of Steel version 2013 nous fait retrouver cette obsession épique dans la gradation systématique, cette escalade insensée vers les aigus, ce martèlement compulsif des plus grosses percussions du monde.

Si ce n’est lui qui compose, c’est donc son frère, et pour être sincère, ses collègues reproduiront la même formule, en plus lassant encore. Tony Zhou, de l’excellente chaîne Every Frame a Painting, est allé demander à des passants « Fredonnez-moi un seul air d’une musique de film Marvel ». La réponse fut nulle, le constat saisissant. Ce n’est pas le budget musique qui importe, au contraire un déferlement de moyens entraînerait une pauvreté dans la diversité musicale : les morceaux de genre deviennent interchangeables, donc s’annihilent.


Bernard Herrmann
Bernard Herrmann

Faut-il espérer un renouveau ?

Il n’y a rien à attendre. Des dizaines de compositeurs tentent et réussissent haut la main. La généralisation faite ici n’est sans doute née que de la composition de ce papier. Mais il y a nécessité d’être exigeant dans la musique, c’est-à-dire d’accepter d’être surpris. Le modèle formaté est suivi autant que des initiatives s’en défont – Birdman fut critiqué mais qui pourra l’accuser de manquer d’ambition ? Si la musique devient moins évidente, elle pourra en devenir infiniment plus subtile. Car au fond, tout le monde avec deux ans de solfège et quarante violons peut faire pleurer le premier pèlerin. Et de se rendre compte des possibilités et du pouvoir immense de la bande originale permet de se pencher sur ce qui fut fait de meilleur, de plus inventif et sensible.

Nick Cave & Warren Ellis (image rollingstones)
Nick Cave et Warren Ellis (image Rolling Stone)

Dans le cinéma contemporain, le rock indépendant intimiste s’est affirmé : Arcade Fire dans Her, Air sur Virgin Suicides, Alex Turner sur Submarine, l’audace de Paul Thomas Anderson avec Jonny Greenwood et Jon Brion pour Punch-Drunk Love, le génie de Nick Cave et Warren Ellis pour L’Assassinat de Jesse James par le lâche Robert Ford (le clin d’œil du film est magnifique) ou La Route. La bande originale moderne se construit aussi par l’influence de Thomas Newman (American Beauty a changé les choses), Alberto Iglesias, Gustavo Santaolalla, l’intelligence moderne de Cliff Martinez, David Wingo (Take Shelter), la merveille de Trent Reznor et Atticus Ross pour The Social Network, le déjà classique Under The Skin de Mica Levi.

Quant aux grosses productions, Michael Giacchino, Alexandre Desplat font un travail très honorable. Mais tenir deux ou trois productions à cent millions par an n’est pas ce qui artistiquement se fait de mieux. The Grand Budapest Hotel oui, Là-haut oui, mais Largo Winch ? The Imitation Game ? Se démarquent John Murphy, Clint Mansell (et surtout pas que Requiem for a Dream), Carter Burwell (notamment tous les films des Coen), Philip Glass dans Koyaanisqatsi.

Le jazz langoureux d'Angelo Badalamenti et la danse d'Audrey dans Twin Peaks
La danse d’Audrey et le jazz langoureux d’Angelo Badalamenti – Twin Peaks

La bande originale est plus que ce que l’on imagine. Elle est tellement d’exemples, non cités, rencontre unique entre deux artistes, parce que de la qualité de l’habillage sonore dépend la qualité de la transmission de l’émotion au service de l’œuvre. Posez-vous la question à chaque fois : cette musique est-elle composée pour mon émotion ou pour mon émotivité, pour mon oreille ou pour mon cerveau archaïque ?

Permettez-vous donc de lui imposer, légitimement et à chaque fois, une exigence absolue.

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