Écoles de DJ, quelle pertinence ? Le témoignage de Naux sur l’UCPA

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À l’image des débats qu’a déjà pu soulever la professionnalisation des cultures urbaines (skate, graffiti, danse hip-hop…), c’est récemment au tour des musiques électroniques et du djing de se retrouver au cœur d’une tentative d’institutionnalisation, et ce notamment par le biais de la création d’écoles spécialisées. À l’heure de la culture internet et autodidacte, du matériel rendu accessible par le numérique et de la valorisation de l’underground, à qui s’adressent ces écoles, que peut-on y trouver et comment séduisent-elles ? Au regard des polémiques et a priori divers que peut générer ce type d’établissements parmi les acteurs du milieu, nous avons souhaité recueillir le témoignage d’un élève passé par l’une de ces formations. C’est ainsi que nous sommes allés à la rencontre de Naux, producteur aguerri de house et de techno fraîchement diplômé de l’UCPA de Lyon, l’une des rares écoles publiques en Europe.

Manifesto XXI – Comment t’es-tu retrouvé à te dire que tu allais tenter une école de djing, et comment as-tu atterri dans cette école ? 

Naux : J’ai connu cette école dans un reportage sur M6, j’étais alors au lycée, je faisais mes premiers pas dans le monde du djing. Ça m’avait interpellé sur le moment, mais sans plus, car je ne pensais pas avoir le niveau, ni faire ça de ma vie. Entre temps, j’ai évolué, la musique a commencé à occuper une grande place dans ma vie, et un pote à moi, DJ Saint Pierre, qui a été élève et prof là-bas, m’a conseillé de faire cette école. Donc je suis allé jeter un œil, j’ai postulé et été admis.

Stylistiquement, on te connaît plutôt dans une veine groovy, house et techno, reliée à une culture plutôt underground ; n’avais-tu pas d’a priori esthétiques en arrivant dans cette école ? 

Je voulais surtout acquérir une bonne maîtrise des platines, de la technique, et on m’avait dit que l’école t’accompagnait dans l’approfondissement de ton univers personnel. On pourrait craindre un formatage commercial, mais ce n’est pas tellement le cas, et à la fin, il y a des épreuves à la fois imposées et plus libres, où tu dois affirmer ton univers.

Tu n’avais pas peur, en termes d’image, de t’affilier à une école de djing ? 

Si, j’avais des a priori par rapport à ce que j’avais vu à la télé, ça semblait très commercial, pas du tout mon truc, mais en ayant passé les bilans de sélection, je me suis rendu compte qu’il y avait d’autres mecs comme moi, qui étaient bien dans l’underground. J’ai fait plein de très belles rencontres, comme Agrume, par exemple, qui était dans ma classe et avec qui j’ai fait pas mal de co-prods. J’ai aussi bossé avec des artistes qui ne sont pas forcément dans la même veine musicale que moi, comme Strato ou TomFat, qui sont bourrés de talents !

Qu’en pensait ton entourage ? 

Certains étaient réfractaires, m’ont dit que je n’avais pas besoin de ça pour être un bon dj, ne comprenaient pas le rôle d’une école dans cette discipline. Mais la plupart m’ont soutenu.

Quel est le programme dispensé par l’école dans cette formation ? 

Au départ, on assiste à des cours de culture musicale, avec un découpage en quatre grands styles principaux de musique dansante : pop-rock, disco-funk, électro et hip-hop. On a un prof par matière qui te fait l’historique de ces styles, te précise les tubes incontournables pour les soirées généralistes. Cet enseignement dure environ quatre-cinq mois.

On a aussi des cours de mix, de scratch, une initiation MAO/production. Il y a beaucoup de cours pendant lesquels on est en semi-autonomie dans des cabines de dj, avec l’assistance des professeurs.

On a également des cours de vidéo/vjing et de graphisme, pour nous aider sur l’aspect communication. On apprend à faire des logos, aftermovies… On a des cours de lumières également.

Toute la dernière partie de l’année, nous tirons au sort un trinôme et nous travaillons à trois pour préparer l’examen.

En quoi consiste cet examen ? 

On doit préparer un show de vingt minutes avec quatre sets de style imposé et un set libre. Le jour de l’examen, on passe sur un set imposé tiré au sort, plus notre set libre. Il faut que ce soit des sets très « show », on a dix minutes par set pour faire nos preuves. On doit aussi créer une soirée fictive, avec un concept de soirée, un flyer qui va avec.

On doit également habiller notre show d’une vidéo qu’un autre élève joue en live, et pour finir, on doit gérer un jeu de lumières pendant qu’un camarade mixe. Chaque dj du trinôme passe au mix, à la lumière, et au vjing.

Il n’y a pas du tout de culture solfégique/classique au programme ?

Non, pas spécialement, les profs vont juste nous conseiller sur quelques aspects si on le souhaite.

Êtes-vous formés sur l’aspect démarchage également ? 

Alors, déjà, pour entrer dans l’école, on est obligés d’être en alternance avec un club. J’ai eu la chance d’être acceuilli au 42, un petit club lyonnais dans lequel je continue ma résidence tous les week-ends depuis que j’ai eu mon diplôme.

Après, ça va être du cas par cas, mais l’école a beaucoup de contacts, donc ça peut aider pour la suite.

Le jury final d’examen peut aussi nous ouvrir certaines portes.

Mais il n’y a pas forcément de cours dédiés à ça.

Il n’y a pas d’évaluation sur de la production ? 

Non, car ce n’est pas le cœur de la formation, mais ils sont en train d’en monter une qui sera spécialisée sur le sujet. Pour ma part, j’en faisais déjà beaucoup à côté, et ce n’était pas dans ce but que j’avais intégré l’école, mais vraiment pour la partie technique djing.

Depuis combien de temps cette école existe-t-elle ? 

Ça fait quinze ans que l’école existe, et on était la 43e promotion, car il y en a plusieurs par an.

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Quel est le coût de cette école ? 

C’est une école publique en fait, la seule en Europe avec celle de Poitiers, qui fait aussi partie de l’UCPA. C’est même une formation rémunérée et diplômante par l’État. C’est financé par le CFA.

Il doit y avoir beaucoup de postulants pour peu d’élus, du coup ? 

Oui, on passe des entretiens de sélection, il doit y avoir à vue d’œil un quart de retenus, je dirais.

Vous étiez combien dans ta promo ? 

Au départ seize, et on a fini à douze.

Sais-tu un peu où ont atterri les gens qui sont passés par cette école ? 

Je ne sais pas dans le détail, mais certains ont bien avancé depuis oui, Trinix, ou Damien N-Drix par exemple.

Avec le recul, qu’en tires-tu de positif et de négatif ? 

Ça m’a beaucoup apporté de faire cette formation, et également l’alternance en club. J’ai pu découvrir l’envers du décor du monde de la nuit. Le fait de devoir mixer tous les week-ends et à l’école pendant un an et demi sur du matériel standard, ça m’a clairement aidé à progresser. J’ai fait de belles rencontres aussi, j’ai travaillé avec des gens talentueux. Les professeurs m’ont appris beaucoup de choses, ils étaient très à l’écoute. Je ne me servirai probablement pas de tout ce que j’ai appris, comme par exemple la partie animation micro et scratch, mais en tout cas, j’ai acquis des compétences pour pouvoir prétendre mixer dans un peu tous types de contextes.

Est-ce que tu aurais des manques à souligner dans cette formation ? 

J’aurais bien aimé avoir un peu plus de MAO/production, mais je n’allais pas spécialement dans cette école pour cet aspect-là. Mais sinon, rien de spécial à dire, ça m’a tout à fait convenu.

À quels types de profils conseillerais-tu cette école ? 

Je pense qu’il faut déjà avoir un projet en tête, savoir à peu près où on veut aller, avoir un minimum de connaissances du milieu, avoir un peu pratiqué, pour ne pas être perdu en arrivant. Savoir affirmer sa personnalité aussi, car il y a quand même de forts caractères là-bas. Il faut que ce soit une passion, un rêve de métier. Et il faut bien sûr être très motivé, parce que tous les week-ends en club, mine de rien, c’est physique !

Naux

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