Dora l’exploratrice existe et elle est dingue

On connaît tous Dora l’exploratrice, cette petite peste bilingue qui se promène avec son singe Babouche et son sac-à-dos à la découverte de nouveaux mots d’anglais à enseigner aux gosses. Figurez-vous que le personnage a son homologue en chair et en os dans le monde de la mode : la journaliste Dora Moutot (qui est cependant moins tête-à-claques).
Dora Moutot est une journaliste de plus en plus prisée grâce à son regard original sur le monde de la mode et son approche à contre-courant de la culture et des tendances. Elle a été chroniqueuse sur France 2 pour l’émission Comment ça va bien animée par Stéphane Bern , puis a travaillé en freelance pour Le Monde, Glamour, WAD, Vice et Canal +. En juin 2013, elle a même remporté le prix Le Monde-Google de la jeune journaliste la plus spécialisée du web.
C’est en zappant sur France 2, un jour parmi tant d’autres où mon réveil avait échoué à m’extirper de mon lit, que je l’ai découverte. J’avais alors l’impression d’avoir mis la main sur un trésor, consciente du potentiel qui se cachait derrière elle. Et en effet, en plus de cette émission, Dora est la fondatrice de La Gazette du Mauvais Goût, plate-forme en ligne qui scrute nos comportements et nos façons d’être à la recherche du kitsch et du mauvais goût. Elle collabore à présent avec la rédactrice Sophie Pinchetti, fondatrice du site The Other : home of subcultures & style documentary, dans le but de valoriser les pratiques culturelles et vestimentaires marginalisées.

A gauche la tribu Karen en Thailande - a droite Jean Paul Gaultier automne hiver 2010 - image tirée de The Other

Dans un univers où la mode a parfois tendance à se faire prescriptive, fermée, tyrannique, et donc ennuyeuse, Dora apporte un peu de fraîcheur et beaucoup d’intelligence. Elle est l’antithèse des chasseurs de tendance traditionnels qui observent les hommes à travers le prisme de leurs lunettes de soleil Chanel puisque sa quête consiste à mettre la main sur tout ce qui contrarie l’élégance, le chic et le distingué.
Sa démarche est, certes, un peu folle. Quand on jette un œil à ses découvertes, on rigole, on s’étonne, on est choqué, on a parfois même des nausées (il faut avouer que certaines pratiques méritent irrémédiablement leur réputation douteuse). Dans son blog, on trouve des choses dont l’existence ne nous aurait jamais effleuré l’esprit comme les « corsets pour visage », le « burqa swag » , le « unicorn porn » , ou encore le « titooing » (tatouage sur téton)… Mais on y fait aussi de nombreuses découvertes et on s’ouvre à la différence . En consacrant son intérêt aux sous-cultures, aux contre-cultures, à ce qui est hors norme, underground, Dora va à l’encontre des « dictats de la mode » qui ont tendance à scléroser cette dernière.

Corset pour visage, extrait de la Gazette du mauvais goût
Corset pour visage, extrait de la Gazette du mauvais goût

Son nouveau projet « Dora the style explorer », qui consiste à créer une série de documentaires sur les tendances à travers le monde, n’est pas aussi farfelu qu’il le paraît puisqu’il a réussi à séduire de nombreux donateurs sur le site de collecte d’argent KissKissBankBank, ce qui va lui permettre de le concrétiser. Ce succès est la preuve que l’univers de la mode manquait d’un nouveau souffle. Dora va donc pouvoir reprendre son sac-à-dos pour un fashion road trip et nous emmener à la découverte de tendances étrangères traditionnelles, de créateurs contemporains, de modes tribales… Elle va donner un peu plus de visibilité à ces tendances inconnues et même les rendre accessibles grâce à un e-shop où certains produits exclusifs seront commercialisés.
Dora explique son projet de cette façon: « L’idée c’est de faire un « j’irai m’habiller chez vous » au lieu d’un « J’irai dormir chez vous » », « C’est un peu comme si le National Geographic prenait en levrette un magazine féminin ».
Je trouve donc la démarche de Dora Moutot brillante. En parallèle de l’industrie de la mode qui rejette la marginalité et voile cette stratégie commerciale derrière ce qu’on appelle les « normes » du bon goût, elle nous rappelle que la mode n’est pas que cela. C’est avant tout une recherche esthétique, et une pratique qui révèle des particularités culturelles et sociales. Une façon de s’habiller, de se tenir, de se coiffer, peut signifier beaucoup des croyances et coutumes d’une société et de son rapport au corps. Les tatouages peuvent, par exemple, être de simples ornements pour certains, alors que dans certaines communautés ils sont des marqueurs identitaires.
De plus, il est possible que Dora devienne l’une des nouvelles grandes prêtresses de la mode de demain puisque, dans cet univers, ce qui est kitsch et de mauvais goût aujourd’hui a toutes les chances de devenir la tendance à venir…

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