Bessa. La spontanéité multi-facettes

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Par Bérénice Cloteaux-Foucault et Clément Piot

Après un premier EP plutôt versé dans une forme de spleen contemplatif, Bessa nous offre ce 9 juin son album De l’homme à l’animal, un opus de neuf titres surprenant et multiforme. Tantôt de retour au spleen originel, tantôt presque dansant, l’artiste dévoile une complexité d’émotions et de thèmes avec une fraîche spontanéité. L’album oscille entre des morceaux très calmes, une voix posée, et des sons plus électrisés, en un patchwork de couleurs. L’univers est intime, sans intermédiaires entre l’auditeur et son monde. Les mots y sont joueurs, superposés, imbriqués comme autant de pièces d’un puzzle que Bessa a accepté d’expliquer en partie.

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Manifesto XXI – Il y a eu un certain virage qui s’est opéré entre ton EP et l’album qui va sortir, tu peux nous en parler ?

Bessa : Il se trouve que pour moi, il n’y a pas eu de virage, parce que l’album était déjà fait au moment où l’EP l’était également. C’est juste que j’ai choisi quatre morceaux qui sont plus lents sur l’EP, qui ont la même typologie. Et là, on découvre d’autres facettes de ma personnalité. Après, c’est vrai qu’il y a deux morceaux en particulier que j’ai faits assez récemment et que j’ai inclus dans l’album un peu au dernier moment, « Karmique Afrique » et « Daydream », où tu sens qu’il y a encore une autre vibe.

En fait, l’album et l’EP se sont faits sur une assez longue période, plusieurs années ; donc de toute manière, il y avait des morceaux que j’avais écrits il y a très longtemps, comme « De l’homme à l’animal », mais que j’ai ré-adaptés, ou d’autres morceaux qui étaient plus récents pour moi. La cohérence, en termes de temps, ce n’est pas un truc que j’ai fait dans une continuité, où je suis partie trois mois en studio. Ça s’est fait sur plusieurs étapes, avec plusieurs personnes.

Pourquoi avoir fait ça sur plusieurs années ? 

Il y a eu plusieurs raisons. Ça ne s’est pas fait linéairement pour moi. J’ai changé de label, et puis d’autres trucs. J’avais fait des maquettes qu’on est allés enregistrer en studio une première fois, et puis on trouvait qu’en fait on avait perdu quelque chose. Du coup, j’ai re-bossé avec un pote chez lui, on a refait l’album. C’était très tumultueux. J’ai dit ça en interview l’autre fois, je vais le ressortir, mais c’est un peu la théorie du chaos cet album, et le sens est là-dedans. Justement, je trouve ça cool comme ça. Parce que c’est rugueux, parce que c’est la vie, parce que c’est comme ça.

Est-ce qu’il n’y a pas le risque de perdre l’unité de cet album ?

Totalement. Oui, il y a un risque, mais ça s’est fait comme ça, et ça ne serait pas honnête de ma part d’essayer de « fitter » des trucs alors qu’il n’y a rien à « fitter ». C’est l’histoire de cet album, il est comme ça. Il y aura peut-être d’autres albums différents, j’aimerais bien faire un album-concept. Mais je pense aussi qu’avec un premier album, j’avais fait ça de manière très spontanée dans ma chambre, et une fois passée en studio, tu ne sais pas comment t’exprimer, tu t’aperçois que ce que tu fais toi spontanément est difficile à expliquer. Tu ne comprends pas vraiment ce qui fait que c’est toi. Ce qui est différent avec l’expérience, où tu peux justement mieux orienter les gens parce que tu sais mieux, c’est que tu as une vision plus globale et plus claire de ce que tu veux obtenir techniquement.

On va dire que maintenant, j’aurai les armes pour aller en studio, gérer des musiciens, leur dire où je vais. À l’époque, je ne savais pas. En tout cas, plus tard, je serai mon propre réal’, et c’est ce que j’ai fait sur les deux derniers morceaux dont je vous parlais, j’ai tout écrit, j’ai joué les instruments dessus, j’ai fait la prod’ entière. Après, peut-être que plus tard j’aurai envie de me risquer à me confronter à des idées autres, puisque parfois, dans la stabilité, on fait des choses un peu plates. Je ne suis pas du tout fermée, je n’étais juste pas prête à faire ce genre de trucs avant.

Au niveau des textes, tu joues beaucoup avec les mots, as-tu des influences littéraires ?

Pour être honnête, je ne lis pas de bouquins. Je n’aime pas lire, par contre j’aime bien écrire. Je ne réfléchis pas trop quand j’écris. J’écris plein de phrases comme ça. J’aime bien bricoler, en fait, ça m’amuse. C’est comme les sons, je ne suis pas technicienne. Je trouve ça marrant, c’est comme un puzzle. J’essaie de trouver du sens à tous ces mots qui viennent comme ça, qui s’articulent.

Tu as chanté en français, mais aussi en anglais.

Spontanément, si je prends une gratte ou un clavier, je vais faire une sorte de yaourt. Ce n’est pas vraiment de l’anglais. Je vais avoir une sorte de langage incompréhensible, et cette matière brute va être sculptée après. C’est plus en français que les mots jaillissent ensuite. Mais j’ai envie de réécrire en anglais, bien que j’aurais besoin de partir un peu pour parler parce que je n’ai pas assez de vocabulaire. J’en ai pour bidouiller, mais pour exprimer un vrai sentiment, je pense que j’en manque. Mais là, récemment, j’ai fait autrement, j’ai essayé de jammer, de dire des phrases en français, et bizarrement, il y a des trucs vraiment cool qui sortaient, hyper naïfs.

On sent que c’est un album assez intime du fait de cette spontanéité, tant au niveau du texte que de la voix ou de la musique, sans détours ou intermédiaires.

Peut-être que c’est là le processus que j’ai. Par souci économique, déjà : faire des séances avec des gens, ça coûte cher. Forcément, tu es seule chez toi avec ton matos, ça ne te coûte rien, donc tu peux passer le temps que tu veux à peaufiner. Et comme moi, je ne suis pas une grande technicienne, à part pour le chant où je vais arriver à me caler sur des jams avec des musiciens, quand je joue avec des gens bons techniquement, je vais bidouiller. Ce processus, il est personnel, parce que ça fait cinq ans que je suis dans ma chambre. Mais pourquoi pas, à l’avenir, faire différemment, aller créer un album avec d’autres gens et mélanger les énergies.

Comment en es-tu venue à la musique ? Que faisais-tu avant ?

De la gym. J’ai fait une fac de sport, de la gym, de la danse. Donc je n’ai pas fait d’école de musique. Quand j’étais petite, ma mère voulait m’inscrire au conservatoire de piano, et moi je ne pensais qu’à faire des roues, donc je n’avais pas envie de m’asseoir. (rires) J’en parlais avec un pote qui a fait le conservatoire de piano, il a des sortes de lectures, on lui a dit : « C’est comme ci, c’est comme ça ». Ça te donne plein d’outils, mais ça t’enferme dans des possibilités de toi-même que tu dois casser. Je n’ai pas ce problème-là : je ne sais pas ce qu’il faut faire, alors je fais.

Pour revenir sur ce qu’évoque cet album, même si tu dis qu’il n’y a pas vraiment de cohérence, ça dégage tout de même quelque chose qui tient du rêve, de l’irréel.

« Daydream » parle plus ou moins de ça. Ça parle de quelqu’un qui serait plus à l’aise dans le rêve, qui est repris par une espèce de truc sociétal, un masque qu’on met, une projection qu’on fait sur les autres, ce que pensent les autres. Du coup, ça parle de croquage de cerveau et du fait que c’est cool ; des fois, tu t’imagines les gens avec des têtes bizarres et ça devient plus drôle. Des fois on est trop sérieux, ce n’est pas constructif d’être sérieux comme ça.

Par rapport à ta chanson « Karmique Afrique », tu crois à ce genre de choses, au karma ?

Je n’ai pas eu une éducation spirituelle, bien que ma grand-mère ait toujours essayé de me traîner à la messe, mais j’ai toujours dit non. (rires) Mamie, si tu m’écoutes, ne t’inquiète pas. Mon père est ingénieur donc très pragmatique. J’ai fait un bac scientifique. Du coup, je ne croyais pas à tout ça, je n’avais pas de spiritualité. Et en fait, j’étais malheureuse. Et puis c’est venu un peu par hasard, il y a un an et demi. Je n’étais pas très bien, j’ai commencé à faire du yoga et j’ai lu un livre, Autobiographie d’un yogi, qui est incroyable. Je trouve que la vie est belle, les hasards qui s’imbriquent des fois, alors je me demande pourquoi il faudrait s’obstiner à être dans un pragmatisme à toute épreuve quand il y a des choses qui s’imbriquent tellement bien, et que c’est beau aussi.

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Après, je ne mets pas de forme là-dedans. Pour moi, tout ce qui est forme, dogme, coupe toute spiritualité. J’essaie de prendre ce qui me parle et résonne en moi de manière très simple, sans me poser de questions. Ce qui me fait du bien, je le fais.

« Karmique Afrique », en fait, parle de la reconnexion avec la Terre mère, de la féminité. C’est vrai que dans cette société européenne, être une femme n’est pas facile, on ne sait pas trop comment s’y prendre. Être féminine ou ne pas être féminine, être jolie, être moche, ce sont des concepts qui n’ont pas de sens. Du coup, ça parle de reconnecter avec la Terre mère, l’Afrique, la racine. J’ai vu un documentaire sur le twerk sur Les Inrocks, dans lequel une nana va « twerker » au milieu des arbres, et j’ai trouvé ça fantastique. Ça m’a inspiré cette chanson. Justement, elle parle de reconnecter avec son chakra du sexe sans forcément ramener ça à quelque chose de sale ou lié à une douleur. Je trouvais ça super beau, super poétique.

En tant qu’artiste femme dans ce milieu, comment ressens-tu les pressions qu’il peut y avoir ?

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Alors, je n’ai jamais ressenti de pressions. J’ai l’impression que si tu te poses la question de la légitimité au moment où tu arrives dans un studio rempli d’hommes, ça va induire ce comportement chez les autres. Alors que si tu ne te poses même pas l’ombre de cette question, il n’y a aucun problème. Je n’ai jamais eu aucun problème de drague. Je fais peut-être peur. (rires)

Il y a d’ailleurs une femme qui est mentionnée sur ton album, Frida Kahlo.

C’est le seul texte que je n’ai pas écrit. C’est un pote, Vladimir, qui écrit des trucs merveilleux, qui m’a dit qu’il avait un texte pour moi. C’est le premier morceau que j’ai fait en partant de son texte, donc sans matière prémâchée, et j’ai composé la mélodie a cappella, puis j’ai tout articulé autour. C’était un exercice hyper cool.

Tu lies ta peinture et ta musique ?

Oui, et j’ai quelque chose à vous montrer ! (Elle sort son album de son sac) J’ai fait tous les dessins du livret. C’est la première fois que je montre mes dessins. Je vais sortir ça à la FNAC, c’est une expo géante. (rires) Avant je ne savais pas que je savais dessiner, j’ai appris ça il n’y a pas longtemps. (Elle montre un dessin) Là, c’est une croix, j’avais envie de faire une croix. (Elle en pointe un autre) Ça, c’est Kanye West en mode schizophrène, avec un côté bizarre et un côté bizarre aussi mais différent. (Un autre) Ça, c’est une sorte de stalagmite-monsieur-algue. Et ça, c’est un personnage qui se fait croquer le cerveau, il a la tête qui éclate. Je n’ai peut-être pas encore trouvé mon matériau. J’essaie plein de trucs. Même en termes de taille, j’adorerais faire un grand format. Pourquoi pas une expo, si j’ai quelque chose de pas cohérent à proposer. (rires)

Quand tu peins, c’est comme quand tu composes, tu le fais en jammant, ou alors tu as déjà une idée en tête ?

Jamais, je n’ai pas d’idées. J’aime bien balancer des trucs. C’est vraiment cool. Le dessin, là, c’était au feutre, c’est vraiment un autre exercice. C’est un peu comme faire la vaisselle, c’est hyper méditatif.

Au niveau de ton esthétique visuelle, comment travailles-tu ? Tes clips sont assez apaisants, calmes.

Pour l’instant, j’ai trois clips. J’ai suivi Irwin, qui est quelqu’un en qui je sais qu’esthétiquement, je peux faire confiance. On a bien évidemment discuté avant de l’imagerie, mais c’est un aspect pour lequel, pour l’instant, j’ai fait confiance. Ça évoluera peut-être. Ce sera peut-être moins calme, aussi. C’est magnifique mais ce n’est qu’une partie. Ça s’y prêtait sur ces morceaux parce qu’Irwin aime l’eau, l’air.

Dans les interviews et les chroniques, on dit souvent que tu es mélancolique.

C’est vrai que ça a été dit une fois, puis répété. Après, pour moi, cet album n’est pas entièrement mélancolique, mais si c’est perçu comme ça, ça ne m’appartient plus. L’EP était quand même assez contemplatif, mais sur l’album, il y a une évolution. Sur l’EP, je n’allais pas franchement bien, mais c’était une autre forme de beauté. En même temps, dans « Héloïse », il y a de la lumière, un truc d’ouverture, mais peut-être que j’avais du mal à m’exprimer dans la joie. Il y a plusieurs façons d’aller mal, et la mienne a été d’être dans un truc un peu introverti, d’être recroquevillée. Mais ça peut aussi être l’exubérance, faire la fête. Là, j’ai envie de faire d’autres choses.

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